Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/380

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qu’une Ventadour, abbesse de…[1] en basse Normandie, à qui le cardinal avoit fait ôter son abbaye pour des libelles qu’elle avoit faits contre lui[2], pût être reçue dans quelque religion à Paris, afin qu’elle ne fût pas sur le pavé. Le cardinal le lui accorda. En s’en retournant, il fut aux Jésuites de la rue Saint-Antoine, où le Père Caussin lui dit que le Roi, touché de compassion pour son peuple, avoit résolu de chasser le cardinal de Richelieu ; que c’étoit le plus scélérat des humains, et qu’il avoit jeté les yeux sur lui pour le faire cardinal, et le mettre en la place de l’autre. Voyez l’homme de bien qu’il prenoit. Le bon homme, qui connoissoit bien le Roi, remercia le Père Caussin. Il part, et se met à rêver à ce qu’il avoit à faire. Il conclut de parler sur l’heure à M. de Chavigny. Chavigny l’embrasse, et lui dit : « Vous nous donnez la vie ! il y a six mois qu’on ne peut deviner ce qu’a le Roi. »

Chavigny, sans attendre davantage, court vite à Ruel. Le lendemain M. d’Angoulême s’y rend, et ils vont tous ensemble trouver le Roi. Le cardinal, en riant, dit :

  1. Le nom est resté en blanc au manuscrit ; ce doit être Marie de Levis, abbesse d’Avenai, puis de Saint-Pierre de Lyon, fille de Anne de Levis, duc de Ventadour.
  2. J’ai appris que ce qui donna le plus occasion à la réforme de quelques monastères de dames, fut la folie d’une madame Frontenac, fille de M. de Frontenac, premier maître d’hôtel, religieuse à Poissy, qui, non contente de faire l’amour, s’avisa, avec cinq autres religieuses et leurs six galants, de venir danser une entrée de ballet à Saint-Germain devant le Roi. On crut d’abord que ce ballet venoit de Paris ; mais dès le lendemain on sut l’affaire, et le jour même les six religieuses furent envoyées en exil. Avant cela elles avoient chacune leur logement à part et leur jardin, et mangeoient en leur particulier si elles vouloient. Elles ne purent jamais obtenir de la prieure qu’elle leur pardonnât et les reçût à faire pénitence, disant qu’elles gâteroient les autres. (T.)