Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/417

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pucin, comme il étoit allé faire le Traité en Espagne[1]. »

Voici ce que j’ai appris de M. Esprit l’académicien, qui dans ce temps étoit domestique de M. le chancelier, sur la manière dont M. le Grand fut arrêté. Huit jours après le départ de Fontrailles, M. le Grand se décide à se cacher à Narbonne chez un bourgeois dont la fille étoit bien avec son valet-de-chambre Belet, qui l’y conduisit. Le soir, il dit à un de ses gens : « Va voir si par hasard il n’y auroit point quelque porte de la ville ouverte. » Le valet négligea d’y aller, parce qu’on étoit soigneux de les fermer de

    bien à couvert. Il a vingt-deux mille livres de rente en fonds de terre, sans un sou de dettes. Il dit une plaisante chose au feu Roi qui lui montroit des louis : « Sire, lui dit-il, j’aime les vieux amis et les vieux écus. » Il ne veut point qu’on raille de sa bosse ; sur tout le reste il entend raillerie. Il étoit des esprits forts du Marais. Ces messieurs se mirent, il y a près de vingt ans, à porter des bottes qui avoient de fort longs pieds, mais non pas si longs qu’on les a portés depuis. Quelques capitaines aux gardes dansèrent un ballet des longs pieds. Fontrailles alla prendre cela pour eux, et engagea le comte de Fiesque et Rumigny à se battre. Le comte et son homme se blessèrent. Fontrailles fut culbuté par le sien, et Rumigny désarma le troisième. Ces messieurs du Marais chargèrent les filous, et leur enjoignirent de ne voler plus dans le Marais. Ainsi le Marais fut quelque temps un lieu de sûreté en dépit de lui. Espenan, soldat de fortune, qui avoit été garde de M. d’Épernon, épousa sa sœur. Il avoit gagné la mère et le cadet de Fontrailles. Cet Espenan avoit été en crédit pour avoir déposé contre M. de La Valette à l’assemblée de Fontarabie. Fontrailles le fit appeler en vain plusieurs fois en duel. Le cadet se mit si fort contre l’aîné qu’il lui envoya un cartel. Fontrailles en eut horreur, et, par l’avis de Rumigny, conta cela à tout le monde. Le cadet fût blâmé. Il est mort à la guerre en Catalogne. (T.)

  1. Fontrailles essaya de passer en Espagne ; mais, n’y étant pas parvenu, il se retira en Angleterre, où il resta jusqu’après la mort du cardinal. (Relation de Fontrailles, au lieu déjà cité, p. 443.)