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auprès de Senlis : il lui présenta la collation. « Vraiment, monsieur l’abbé, lui dit-elle, vous avez bien fait accommoder cette abbaye ? — Madame, répondit-il, s’il plaisoit à Votre Majesté de m’en donner encore deux ou trois vieilles, je vous promets que je les ferais fort bien raccommoder. » Dans ces Historiettes et dans les Mémoires de la régence, on trouvera par-ci par-là assez de ses bons mots[1]. Il servit une fois à M. de Chavigny un Térence fort bien relié entre deux plats, car M. de Chavigny aimoit fort cet auteur. Son défaut est d’être avare, lui qui a trente mille livres de rente et nulle charge, car depuis la régence il a eu encore une abbaye. Il en rit le premier, et se sauve en goguenardant. Il disoit à M. de Vence[2] : « Voyez-vous, je vous aime tant, que, si j’étois capable de faire de la dépense pour quelqu’un, ce seroit pour vous. Vous viendrez pourtant à La Victoire, car je regarde que votre train est proportionné à mon humeur, puisque vous vendez vos chevaux. » (En ce temps-là ce prélat les avoit vendus à cause de la cherté de la nourriture ; c’étoit durant les troubles.) « Vous viendrez en chaise. — Mais, lui dit l’autre, les porteurs, qui seront au moins quatre, qu’en ferez-vous ? — Je les attra-

  1. Plusieurs bons mots de l’abbé de La Victoire sont rapportés par madame de Sévigné dans ses lettres. Voyez particulièrement la lettre du 27 février 1671. Nous saisissons cette occasion de rectifier une erreur dans laquelle nous sommes tombés dans notre édition des lettres de madame de Sévigné. Nous avons confondu cet aimable et spirituel abbé avec l’abbé Lenet, qui n’obtint l’abbaye de La Victoire qu’en 1677.

    Monmerqué.

  2. Antoine Godeau, né vers 1605, à Dreux, évêque de Grasse en 1636, puis de Vence, mort à Vence le 21 avril 1672. Il fut de l’Académie françoise.