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un soin indigne d’un honnête homme. Ses terres en friche portoient des brandes[1], et il en faisoit faire des balais, et les envoyoit vendre à la ville. À ce petit jeu-là il se trouva bientôt endetté. Quand il se vit tourmenté de ses créanciers, il négocia avec eux pour en avoir composition ; ce que n’ayant pu obtenir, il se mit à les chicaner ; et comme il avoit l’esprit vif, et qu’il parloit facilement, il se rendit si habile, qu’il faisoit tout ce qu’il vouloit de ses juges, et je pense qu’enfin il fallut que ses créanciers s’accommodassent.

Il a vécu plus de quatre-vingt-sept ou huit ans dans sa gueuserie ; quand on prit le deuil de Henri IV, il porta son habit une fois plus que les autres, et disoit : « Je vous assure, je n’ai pas le courage de quitter le deuil, quand je songe au grand prince que nous avons perdu. »

C’étoit un homme fort vain. Avant ce coup qui le défigura, il croyoit que les dames mouroient d’amour pour lui, et il s’imagina que Dieu lui avoit envoyé cette mortification, afin qu’il n’eût plus tant d’avantages sur les autres hommes.

Un Italien, à l’hôtel de Rambouillet, ne pouvant trouver son nom, dit : « Quel baron’ perforato (cicatrisée). »

Il savoit un million de choses, et jamais ne tarissoit ; il disoit fort agréablement ce qu’il disoit.

  1. Brande, petit arbuste qui croît dans les terres incultes. (Dict. de Trévoux.)