Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 2.djvu/39

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en ce dessein on lui voulut apprendre à nager, mais il ne put jamais en venir à bout. Ses parents lui en faisoient des reproches et lui disoient qu’il ne vouloit être bon à rien. Enfin, las de leurs crieries, un jour que par hasard il n’y avoit personne avec lui qui sût nager, il se jeta dans l’eau si follement que, sans un pêcheur qui y accourut avec sa nacelle, il étoit noyé. Il le falloit donc faire d’église. Il fut, comme j’ai dit, nommé évêque de Luçon, et abandonna cet évêché à son frère pour se faire Chartreux.

Cet homme avoit naturellement quelque pente à la folie ; la solitude l’achevoit. Pour cela les Chartreux de la grande Chartreuse, où il étoit, le firent leur procureur dans une contestation avec un gentilhomme fort brutal. Il eut des coups de bâton. Il porta cet outrage patiemment, et ne voulut jamais s’en venger quand il se vit cardinal. On dit qu’un astrologue lui prédit, avant qu’il fût procureur, qu’il seroit en grand danger d’une grande blessure faite à la tête avec du fer. Mais, étant devenu procureur, comme il entroit à Avignon, une chaîne du pont-levis lui tomba sur la tête, et il en pensa mourir. Le cardinal de Richelieu le fit sortir de la Chartreuse, et le fit archevêque d’Aix, puis archevêque de Lyon, cardinal, et grand-aumônier de France, et lui donna de grands bénéfices[1]. À Aix, aussi bien qu’à Lyon, il a fait la fonction d’un bon évêque. Le cardinal l’envoya à Rome pour autoriser d’autant plus la poursuite de la dissolution du mariage de M. d’Orléans. Là il acquit la réputation

  1. On a remarqué que le cardinal de Richelieu et son successeur le cardinal Mazarin ont eu tous deux chacun un frère moine, fou et archevêque d’Aix. (T.)