Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 2.djvu/84

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noient devant lui et le bénissoient. « Je suis bien fâché, leur dit-il, du dommage qu’on vous a fait là. — Cela n’est rien, Sire, lui dirent-ils, tout est à vous ; pourvu que vous vous portiez bien, c’est assez. — Voilà un bon peuple, » dit-il à ceux qui l’accompagnoient. Mais il ne leur fit rien donner, ni ne songea à les faire soulager des tailles.

Je pense qu’une des plus grandes humanités qu’il ait eues en sa vie, ce fut en Lorraine. Le paysan chez qui il dînoit, dans un village où ils étoient bien à leur aise avant cette dernière guerre, fut tellement charmé d’un potage de perdrix aux choux, qu’il le suivit jusque sur la table du Roi. Le Roi dit : « Voilà un beau potage. — C’est bien l’avis de votre hôte, Sire, dit le maître-d’hôtel, il n’a pas ôté les yeux de dessus. — Vraiment, dit le Roi, je veux qu’il le mange. » Il le fit recouvrir, et ordonna qu’on le lui servît.

Le cardinal ayant chassé Hautefort, et La Fayette s’étant faite religieuse, le Roi dit qu’il vouloit aller au bois de Vincennes, et, en passant, fut cinq heures aux Filles de Sainte-Marie, où étoit La Fayette. En sortant, Nogent lui dit : « Sire, vous venez de voir la pauvre prisonnière ? — Je suis plus prisonnier qu’elle, » répondit le Roi. Le cardinal eut du soupçon de cette longue conversation, et y envoya M. de Noyers, à qui M. de Tresmes n’osa refuser la porte ; cela rompit les chiens.

L’Éminentissime voyant bien qu’il falloit quelque amusement au Roi, jeta les yeux, comme j’ai déjà dit, sur Cinq-Mars, qui déjà étoit assez agréable au Roi. Il avoit ce dessein de longue main, car le marquis de La Force fut trois ans sans se pouvoir défaire de sa charge