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Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 3.djvu/304

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Madame de Sully, dont le mari étoit surintendant des finances, devint amoureuse de M. de Schomberg, père de madame de Liancourt, qui étoit encore tout jeune, et il s’en prévalut si bien que pour une fois elle lui fit rétablir trente mille livres de rente sur le Roi, qui avoient été supprimées. Cette amourette dura long-temps, et ensuite il se sut si bien maintenir auprès d’elle qu’elle fit résoudre M. de Sully à marier son fils aîné du deuxième lit, le feu comte d’Orval, avec mademoiselle de Schomberg, aujourd’hui madame de Liancourt. Ce garçon, quoique du deuxième lit, n’eut pas laissé d’être fort riche s’il eût vécu ; car celui qui lui a succédé, son cadet, le comte d’Orval d’aujourd’hui, a eu beaucoup de bien ; mais il l’a mangé le plus ridiculement du monde, sans avoir jamais paru.

Ce mariage, quoique entre des personnes de différentes religions, s’alloit pourtant achever sans la mort de Henri IV ; mais madame de Schomberg, ayant vu M. de Sully disgracié, ne voulut plus y entendre. Il eut l’ambition de voir sa fille duchesse, et l’accorda avec le fils aîné du duc de Brissac ; mais il fut puni de son infidélité et de son ingratitude, qui étoit d’autant plus grande, que si sa fille n’eût été accordée avec le fils d’un duc, jamais il n’eût pu prétendre à Brissac.

Ce comte de Brissac n’étoit point agréable : au contraire, il étoit stupide et mal fait. Pour elle, elle étoit fort brune, mais fort agréable, fort spirituelle et fort gaie. Elle trouva cet homme si dégoûtant qu’elle conçut une aversion étrange pour lui. Dès-lors elle avoit jeté les yeux sur M. de Liancourt, comme sur un parti sortable : il étoit bien fait et assez galant ; mais il n’y avoit rien entre eux, et elle ne lui avoit jamais parlé.