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Raymond les adorait, et je ne saurais dire combien de fois elle a spontanément comblé les vides de ma collection[1].

Elle qui tenait tant à ses livres, elle qui était si passionnément bibliophile, elle accomplissait, quand il s’agissait de faire le bonheur d’un ami, les plus héroïques sacrifices, et, dans l’entraînement de sa générosité, elle allait — phénomène inouï parmi les collectionneurs, chez qui s’épanouit presque toujours un luxuriant égoïsme ! — elle allait jusqu’à se séparer — non sans des déchirements de cœur que voulait un suave sourire — d’une pièce peu commune, parfois même d’une pièce unique, qui faisait l’orgueil de cette admirable volière où abondaient les oiseaux rares et précieux — au plus beau plumage, ajouterai-je, pour continuer ma métaphore et pour caractériser la plupart de ses volumes, ornés des plus élégantes, des plus parisiennes reliures.

Gravement souffrante depuis longtemps, Madame de Raymond se savait frappée à mort. Elle accepta d’un cœur résigné la pensée d’une fin prochaine, pensée qui jetait tout son entourage dans les plus cruelles anxiétés. Confiante en la bonté de Dieu qui a dit ce mot où tout se résume : Aimez-vous les uns les autres, elle prit avec un mâle courage, avec une inaltérable sérénité toutes les dispositions suprêmes, qu’elle appelait les préparatifs du grand voyage. Ce fut d’une main ferme qu’elle écrivit son admirable testament, où se reflètent avec tant d’éloquence ses beaux et patriotiques sen-

  1. Tout dernièrement encore, j’avais à peine témoigné le désir de lire un ouvrage nouveau dont on disait quelque bien, que, refusant de me le prêter, elle mit sa joie à me le donner. Un jour, je m’en accuse, j’abusai de sa faiblesse pour ses amis et, à force d’instances, je lui arrachai c’est le mot un autographe auquel elle attachait beaucoup de prix, une lettre très curieuse de Madeleine Brohan. Que de fois, depuis ce jour, ne m’a-t-elle pas gaiment reproché mon demi-larcin, me traitant de frère quêteur ! Je suis heureux de pouvoir dire que j’ai réparé mes torts d’une façon éclatante en remplaçant un peu plus tard, dans le portefeuille de Madame Marie, la lettre de la séduisante actrice, par la lettre d’une admirable reine, lettre adressée à une personne de ma famille et signée Marie Amélie.