Page:Tannery - Pour l’histoire de la science Hellène.djvu/114

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La religion grecque, au contraire, ne connaissait que la question d’origine, et si, chez quelques peuples voisins (les Étrusques, par exemple), la doctrine de la fin du monde était professée, celle de la succession indéfinie, dans les deux sens, de périodes d’organisation et de destruction, ne nous apparaît, pas moins chez Anaximandre, au moment où la pensée hellène se dégage de la forme mythique, non pas comme un emprunt fait à des croyances religieuses indigènes ou étrangères, mais bien comme une conclusion logique d’un raisonnement dû au Milésien.

Ce raisonnement, toujours valable, est le suivant : la genèse, après un état indéfiniment stable, est inconcevable, de même que le maintien d’un état indéfiniment stable après la destruction ; donc il faut répéter périodiquement et sans fin genèse et destruction.

La négation de cette thèse se produisit presque immédiatement par la bouche de Xénophane : il n’y a ni genèse ni destruction, les changements apparents sont négligeables, le monde est éternel.

L’adhésion de Platon et d’Aristote entraîna finalement, dans l’hellénisme, la prédominance de cette seconde solution, quoique, à la suite d’Héraclite, les stoïciens eussent soutenu la première. Mais dans un cercle étranger, que l’éducation grecque ne parvint pas à absorber, une nouvelle conception religieuse introduisit la supposition d’une création ex nihilo.

Une pareille hypothèse n’était possible qu’après que les Grecs eurent élaboré les concepts de l’être et du néant ; d’ailleurs elle se formula, lorsque les penseurs hébreux, ne trouvant dans leurs livres saints rien qui s’accommodât aux doctrines hellènes, furent obligés de constituer un système en harmonie suffisante avec le texte de ces livres.

Le succès de cette thèse de la création ex nihilo, avec destruction finale, accompagna le triomphe du christianisme, et il fut assez complet pour forcer les modernes à repasser lentement par les premières étapes de la pensée humaine. Cependant une réflexion tant soit peu attentive suffit pour montrer que cette thèse est tout à fait en dehors de la question scientifique.

D’une part, en ce qui concerne l’avenir, la doctrine chrétienne, en conservant l’individualité immortelle des âmes créées, en maintenant même, pour l’éternité future, l’existence de la matière sortie du néant, abandonne la conséquence logique de la thèse qui devrait conclure à l’anéantissement absolu de tout le monde des phénomènes. La destruction que prédit cette doctrine n’est point