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passé, l’éternité dans l’avenir — n’a pas plus de valeur philosophique que la cosmogonie d’Hésiode.

L’esprit humain semble ainsi fait qu’il conçoit sans difficulté — peut-être parce qu’il la désire — l’indéfinie prolongation de l’existence du monde. Mais pour le passé, il lui faut une origine et, au lieu de reconstituer patiemment les pages de l’histoire possible, il s’élance du premier coup vers l’état qui lui apparaît comme le plus simple et qu’il lui semble dès lors satisfaisant d’admettre comme primordial.

Cependant cette satisfaction est purement illusoire : la molécule matérielle la plus simple à nos yeux, ce qu’on appelle en chimie l’atome d’hydrogène, par exemple, est peut-être un monde infiniment petit, mais comparable au nôtre comme complication ; il n’est certes pas plus simple d’admettre comme primordiale l’existence de l’un que celle de l’autre. Quant à résoudre en leurs éléments ces microcosmes que nous qualifions d’atomes, c’est, jusqu’à présent du moins, un rêve et un vain mirage.

L’hypothèse de Laplace, ou toute autre analogue, ne peut donc avoir de valeur propre que comme retraçant une évolution possible depuis un certain état qui n’est pas le commencement, jusqu’à l’état actuel. Quant à la thèse de la stabilité de l’univers, elle a été sérieusement battue en brèche à la suite de la constitution de la théorie mécanique de la chaleur.

D’après une nouvelle doctrine, émise comme une conséquence rigoureuse de cette théorie, l’univers tendrait vers un état limite caractérisé par la répartition uniforme ou aussi uniforme que possible des énergies mécaniques et caloriques ; cette thèse, qui prédit en somme la mort de notre monde, suppose d’ailleurs qu’en remontant aussi loin que possible vers le passé, on trouvera comme limite un état initial absolument opposé.

Sous la forme mathématique dont elle a été revêtue, elle échappe à la critique que nous adressions tout à l’heure à l’hypothèse de Laplace, en ce sens que, si l’on voulait fixer la date du commencement ou de la fin, on trouverait des deux côtés un temps infini. À la vérité, cette théorie n’a guère été interprétée de cette façon par la plupart de ses adeptes et il semblerait parfois, à entendre certains d’entre eux, que nous touchions presque au terme fatal que Clausius a assigné à l’entropie de l’univers. Mais ramenée à sa forme authentique, elle semble mériter d’être, au point de vue philosophique, l’objet d’un examen approfondi, si toutefois elle est