Page:Tannery - Pour l’histoire de la science Hellène.djvu/124

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actuel, la succession indéfinie de périodes d’organisation ou de désorganisation, ne sont autre chose, elles aussi, que des hypothèses indémontrées et peut-être indémontrables. Pourquoi à ces deux solutions de la sagesse antique refuser d’en adjoindre une troisième dont l’esprit moderne puisse se glorifier ? Un processus éternel du passé vers l’avenir, dans lequel chaque pas en avant serait définitivement acquis, un but devant nos yeux, vers lequel nous marchons, si loin qu’il soit, un point de départ derrière nous, dont nous nous éloignons pour toujours irrévocablement, ne sont-ce point là des conceptions dignes d’un esprit philosophique ? Ne méritent-elles point d’être soutenues et développées, de jouer à leur tour le rôle d’inspiratrices et de directrices de l’humanité ?

Encore faudrait-il, ce nous semble, que ces conceptions eussent pour appui une base empirique suffisante. La stabilité de l’ordre de choses actuel nous est, en somme, démontrée, au moins comme relative, par les faits ; l’histoire authentique du monde, telle que nous pouvons la reconstituer, du moins jusqu’à présent, ne nous permet de constater aucune perturbation appréciable de cet ordre, et les changements qu’il subit sont, dans leur importance relativement faible, soumis à des périodes dont le retour assuré maintient l’équilibre général. La doctrine d’une évolution périodique doit, d’autre part, évidemment sa première origine à une conception anthropomorphique de la nature ; nous naissons et nous mourons ; le monde nait et meurt ; mais, comme la race humaine, il se perpétue en se renouvelant. Seulement, à cette conception grossière, la science est venue joindre l’ensemble des possibilités qu’elle a reconnues ; elle a cherché à concevoir les plus grands changements imaginables à l’ordre de choses actuel ; elle s’est représenté leur progrès, soumis nécessairement, comme tous ceux que nous observons, à la loi du rhythme, au retour de périodes fatales.

Quant à l’hypothèse d’une évolution continue, d’une entropie, elle correspond, elle aussi, non pas à une véritable découverte scientifique, mais bien à une conception appartenant à un tout autre ordre d’idées, dont la formule semble, à vrai dire, due à l’âge moderne. C’est celle du progrès continu de l’humanité vers un idéal sur lequel on ne s’est d’ailleurs pas encore entendu. Oui, nous pouvons rêver ce progrès, nous pouvons rêver aussi qu’il est suivi par l’aveugle et inconsciente nature. Mais si, pour le premier de ces rêves, nous empruntons nos images à des réalités tangibles,