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INTRODUCTION.

l’universalité des connaissances et des capacités est, encore de son temps, une prétention assez commune. Aux siècles suivants, rien de semblable : les géomètres se renferment dans leur science pure, ou n’en sortent que pour étudier les applications, à la mécanique par exemple, comme Archimède ou Héron.

Les écrits scientifiques qui nous restent de la période alexandrine, sont, d’ailleurs, loin de nous donner la mesure de l’activité intellectuelle dont ils témoignent. Non seulement la géométrie s’éleva, dans des ouvrages dont beaucoup sont perdus, au moins en grec, à une hauteur qu’il est aujourd’hui difficile d’apprécier exactement, mais qui, en tout cas, excite un juste étonnement ; les autres domaines se rattachant aux mathématiques furent l’objet de travaux considérables. C’est ainsi qu’Ératosthène assure à la géographie un fondement scientifique ; qu’Hipparque donne à l’astronomie ancienne sa forme définitive. Toutefois, ces génies créateurs subirent à leur tour le sort des géomètres de l’âge hellène : Strabon et Ptolémée ont fait oublier leurs œuvres.

En revanche, du côté de la physique et de l’histoire naturelle, la science alexandrine n’accomplit aucun progrès réel ; si la médecine reste en honneur, les recherches théoriques s’arrêtent et l’œuvre d’Aristote semble suffire à la curiosité. Il y a deux raisons à ce fait singulier.

D’une part, les connaissances acquises ne sont pas encore telles qu’il puisse, comme pour la médecine ou les mathématiques, se constituer des sciences indépendantes, exclusivement cultivées pour elles-mêmes ; or, comme désormais la philosophie est devenue un objet d’enseignement régulier, la physique n’en sera plus qu’une partie subordonnée, après avoir fourni, jusqu’à Platon, les questions prédominantes dans les préoccupations des penseurs. Désormais, la logique et l’éthique ont passé au premier plan.

Mais ce n’est pas là la seule condition défavorable. Après Aristote, l’idéal de la vie théorétique, la science pour la science, s’évanouit devant les tendances pratiques des nouvelles écoles qui surgissent et se disputent la direction morale de la civilisation hellène. Épicuriens et stoïciens feront bien de la physique et même beaucoup ; mais la position que prennent les premiers, — l’indifférence vis-à-vis des diverses explications compatibles avec une hypothèse a priori générale, — est la négation même de la possibilité de tout progrès scientifique ; quant aux seconds, c’est le principe même de leur doctrine qui est hostile à la science. Ils