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chapitre vi. — anaximène.

l’explication de Thalès, ce fut en tout cas celle d’Héraclite ; mais ce dernier ne supposait nullement une forme plate pour les astres, il les comparait à des bassins creux (σκαραί).

Théophraste (Diog. L., IX, 11) trouve qu’Héraclite a été trop bref sur ces bassins ; en tous cas l’hypothèse de formes arrondies était, au moins pour les phases de la lune, plus plausible que celle de formes plates. Qu’aurait donc dit Théophraste sur Anaximène ? Par une singularité frappante, tous les doxographes sont muets sur son explication des éclipses ; l’historien des Physiciens l’aurait-il négligée dans son abrégé, ou n’en aurait-il dit que quelques mots insignifiants ?

Son contemporain Eudème (dans Théon de Smyrne, Astron.) aurait avancé au contraire qu’Anaximène a le premier soutenu que la lune emprunte sa lumière du soleil et montré la raison de ses éclipses. Tout doit nous faire croire que le texte est erroné et qu’il faut lire Anaxagore. Ainsi nous sommes obligés de recourir à une conjecture.

Qu’on se souvienne qu’Anaxagore, après avoir trouvé la véritable cause des éclipses, trouvant cependant que sa théorie était insuffisante pour rendre compte de tous les phénomènes, concevait d’autres astres obscurs comme pouvant nous dérober la vue de la lune ; qu’on se rappelle que les Pythagoriens attribuèrent le même rôle à leur antichthone ; on n’hésitera pas sans doute, en retrouvant la mention d’astres obscurs dans la doxographie d’Anaximène, à lui attribuer l’origine de ces croyances postérieures et par suite à séparer complètement du soleil et de la lune les astres en question.

Cette conception apparaît dès lors comme un stade nécessaire dans l’invention de la vérité ; le progrès scientifique qu’elle marque consiste surtout en ce que les phénomènes sont reconnus comme périodiques et susceptibles de prédiction. Anaximandre avait à cet égard négligé la tradition de Thalès qui, pour la première fois, trouve ici sa conséquence légitime.

Mais l’hypothèse d’Anaximène devait aussi naturellement conduire à la véritable explication. Car, si l’on se demandait comment ces corps obscurs n’étaient point vus, la question de leur éclairement par le soleil se posait, et il était facile de reconnaître que dans les conditions les plus générales, les phénomènes qu’un tel corps obscur devait présenter, étaient tout à fait semblables aux phases de la lune. D’où, pour reconnaître que cet astre est obscur