Page:Tannery - Pour l’histoire de la science Hellène.djvu/201

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fermée » dont il peut à volonté révéler ou cacher les mystères. Les dieux hellènes étaient conçus sur ce type et la multiplication indéfinie en allait dès lors de soi.

Or, voilà un penseur qui, plus ou moins obscurément, éveille l’idée de l’alternative opposée, qui, tout en laissant leur liberté aux consciences particulières, les soumet à la connaissance et à l’action d’une conscience universelle, d’une sagesse suprême, d’un Logos qui anime tout homme vivant. C’est là le levain dont la fermentation dissoudra les croyances de l’antique polythéisme, tout en préparant celles des temps nouveaux. La question touche avant tout la religion ; aussi a-t-elle été débattue dogmatiquement la plupart du temps, ce qui n’était guère une condition favorable pour le progrès. Elle n’a donc pas sensiblement avancé ; d’ailleurs elle paraît, par sa nature même, appartenir aux régions les plus ardues de la métaphysique, au plus lointain domaine de l’inconnaissable.

Et cependant les récents progrès de la science viennent à leur tour de soulever un problème tout à fait analogue au fond, malgré sa limitation toute spéciale, et dont la solution, si elle était possible, fournirait au moins un point d’appui pour des spéculations plus aventureuses. Mais cette solution est-elle vraiment autre chose qu’une chimère à poursuivre ?

En tout cas, le problème est, au moins comme cadre, entièrement scientifique. En étudiant des êtres animés très inférieurs par rapport à nous, mais dont la simplicité relative est précisément de nature à permettre quelques aperçus nouveaux sur les mystères de notre organisation complexe, on a reconnu des individus accolés, soudés les uns aux autres, ayant une conscience propre, en tant que ce terme est applicable à cette échelle de l’animalité, et qui, en même temps, constituent un ensemble général, un être total, qui paraît doué d’une conscience commune.

Si ces constatations ne sont point trompeuses, la science pourra au moins, dans un avenir plus ou moins éloigné, préciser les conditions physiologiques pour la coexistence de ces consciences individuelles en communication les unes avec les autres. La psychologie peut profiter à son tour de ces travaux, et le concept de la conscience peut, à la suite, être élaboré plus complètement qu’il ne l’est aujourd’hui, arriver à une certaine précision scientifique. Mais le problème métaphysique restera sans doute toujours aussi obscur, aussi susceptible de controverses qu’il l’était au temps d’Héraclite.