Aller au contenu

Page:Tannery - Pour l’histoire de la science Hellène.djvu/219

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les premiers pythagoriens n’ont pas seulement composé des couples binaires, comme Alcméon ; ils ont eu des ternaires (triagmes d’Épigène ou d’Ion de Chios), comme les bardes cambriens, des quaternaires (onze dans Théon de Smyrne), comme on en rencontre dans les Proverbes de Salomon ; les Theologumena nous les montrent de même supputant les choses qui sont cinq, qui sont six, etc., jusqu’à dix, et concluant à des propriétés mystiques pour les différents nombres. C’est là ce qu’Auguste Comte appelait la période théologique pour l’arithmétique, période dont on rencontre partout des traces historiques, des bords du Gange au fond de la Bretagne.

Dans ces classifications arbitraires, on doit au reste distinguer deux stades, dont le second ne semble avoir été réellement franchi qu’en Grèce ; d’abord on se borne à la supputation, puis on établit le parallélisme entre les différents groupes et on rapproche entre eux les objets qui, dans chacun de ces groupes, sont au même rang. Appliqué aux couples binaires, ce procédé conduit nécessairement au dualisme parfait, ou plutôt il le suppose a priori.

Si d’ailleurs on examine les binaires pythagoriens ou ceux d’Alcméon, on remarque qu’ils sont établis entre des qualités ; l’opposition en effet, comme Aristote l’a enseigné plus tard, ne doit pas être conçue entre des substances, mais bien entre des qualités. Il n’en est pas moins vrai que le dualisme originaire de Pythagore a été posé entre des substances, entre le principe limité donnant aux corps la solidité en même temps que la forme, et le continu fluide (infini) que le Samien ne distinguait pas de l’espace. (Voir p. 124.)

Joint au système de classification par binaires, ce dualisme devait nécessairement conduire à attribuer à l’un des deux principes substantiels toutes les qualités formant l’une des séries opposées, à l’autre principe la série des qualités contraires. Or, c’est là, comme nous le verrons, la physique de Parménide ; à peine est-il nécessaire d’ajouter ce que j’ai déjà indiqué à propos d’Hippasos, que l’inconsistance de la méthode devait faire aboutir à un échec inévitable et que le résultat de cet échec, joint aux progrès de l’abstraction, conduisit l’École à abandonner le point de vue concret de son fondateur ; pour Philolaos, qui conserve expressément le dualisme de la limite et de l’infini, ces deux termes n’ont plus qu’une signification abstraite.

Tel est le sens général de l’évolution qui dut s’accomplir au