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CHAPITRE IX. — PARMÉNIDE D’ÉLÉE.

en même temps la forme logique, rigoureusement abstraite, de son argumentation ont eu une influence prépondérante sur l’évolution que nous cherchons à analyser. Mais j’essaierai de montrer, dans le prochain chapitre, que le but poursuivi par Zénon était en réalité très différent de celui qu’on lui attribue d’ordinaire, et qu’il n’a nullement mis en doute la possibilité logique des phénomènes.

Parménide enfin se montre sous une double face ; à la fois tourné vers le passé et vers l’avenir, il est en même temps physicien probabiliste, et logicien dogmatique. Mais s’il se place successivement aux deux points de vue, il ne cherche pas à réunir, dans une synthèse commune, le double aspect des choses. C’est là, je l’ai dit, son caractère essentiel ; c’est par là qu’il a fourni à l’idéalisme sa matière propre, en même temps qu’il lui donnait sa forme, en créant le genre de logique qui lui est spécial.

Si maintenant Mélissos n’avait pas développé les dernières conséquences de l’application de cette forme à cette matière, ni Platon ni Aristote n’auraient attribué à la dialectique de Zénon une portée qu’elle n’avait pas atteinte ; ni l’un ni l’autre n’auraient recherché la même doctrine jusque chez Parménide et nous le considérerions sans doute comme un pur réaliste.


3. Nous possédons encore de fait la presque totalité de la partie du poème de l’Éléate relative à la vérité ; il est clair, du moins, que dans ce qui nous reste, rien de sérieusement important ne fait défaut. Un examen attentif de ces longs fragments dont l’authenticité est d’ailleurs incontestable, doit donc suffire pour nous renseigner pleinement sur le véritable sens de la thèse soutenue, et nous n’avons à nous préoccuper aucunement des commentaires postérieurs dont elle a été accompagnée. Écrits suivant des idées préconçues, ces commentaires ne pourraient que nous égarer ; il est seulement nécessaire que nous nous rendions bien compte que Parménide vivait certainement dans un milieu entièrement réaliste et que son langage dès lors ne peut être compris que si l’on replace, sous les termes abstraits qu’il emploie, les concepts de l’époque.

L’être de Parménide, c’est la substance étendue et objet des sens, c’est la matière cartésienne ; le non-être, c’est l’espace pur, le vide absolu, l’étendue insaisissable aux sens. Avec cette clef, le poème