Page:Tannery - Pour l’histoire de la science Hellène.djvu/295

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paraître la plus naturelle, la plus conforme aux opinions vulgaires, il lui aurait fallu rompre complètement avec la tradition. Ainsi il avait à résoudre le difficile problème de constituer un concept qui permit la conciliation effective de la thèse moniste et dynamiste, à peu près universellement reconnue jusqu’à lui, et des idées pluralistes et mécaniques qu’il introduisait dans la cosmogonie.

Du côté de l’Italie, il avait connaissance d’un essai dualiste, le vide et les monades des premiers pythagoriens ; mais cette première et grossière tentative n’avait pu résister à l’argumentation de Zenon sur la divisibilité à l’infini. Elle allait se transformer et donner naissance au vide absolu et aux atomes de Leucippe, c’est- à-dire à la conception qui, après être finalement échue dans l’antiquité aux mains de l’école la moins scientifique de toutes, devait reparaître dans les temps modernes et devenir le pivot fondamental sur lequel roulent désormais toutes les hypothèses physiques.

Anaxagore rejette la notion du vide et cherche une autre voie ; mais il doit tenir compte des difficultés soulevées par Zenon. En divisant indéfiniment la matière, si elle n’est pas absolument une, vous arriverez à séparer ses éléments constitutifs; comment leur pluralité peut-elle faire l’unité? Comment l’être peut-il être à la fois sv xat raXXi?

La réponse d’Anaxagore est simple ; c’est celle du géomètre que nous avons déjà reconnu. Oui, la matière est divisible à l’infini; mais la difficulté prétendue n’existe pas, car le mélange que j’aperçois dans les grandes parties subsiste également dans les petites, si minimes qu’on les suppose; il n’y a entre les unes et les autres qu’une différence de dimension qui n’a rien à faire avec la question de composition; jamais donc la division n’atteindra les éléments ultimes, et la matière est, partout et toujours, à la fois une et composée. (Voir fr. 15 et 16 surtout.)

III. — Critique de la conception d’Anaxagore.

6. Nous sommes tellement assujettis aux habitudes d’esprit qu’entraîne la conception atomique, que la thèse d’Anaxagore, telle que je viens de l’énoncer, apparaîtra à beaucoup comme un simple paradoxe dont il n’y a pas lieu de tenir compte; et cependant, elle est, a priori, parfaitement légitime, et si négligée