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POUR L’HISTOIRE DE LA SCIENCE HELLÈNE.

le petit animal ne respire que le dilaté ; aussi les grands animaux sentent-ils mieux. L’odeur est plus vive de près que de loin, parce qu’elle est plus dense et qu’en se dispersant elle s’affaiblit. On peut presque dire que les grands animaux ne sentent pas une odeur subtile, ni les petits une forte.

31. Attribuer la sensation aux contraires n’est pas sans raison, comme on l’a dit ; car l’altération semble provenir non pas des semblables, mais des contraires. Cependant il faudrait bien s’assurer si la sensation est une altération et si le contraire peut juger du contraire. Mais dire que la sensation est toujours accompagnée de souffrance, cela n’est d’accord ni avec l’expérience (car il y a des sensations accompagnées de plaisir, et la plupart ne le sont point de souffrance) ni avec la raison ; car la sensation est selon la nature, et rien de ce qui est selon la nature n’est forcé ni pénible ; ce serait bien plutôt agréable, et il semble bien qu’il en soit ainsi. Car nous prenons plaisir aux mêmes choses en plus grande quantité ou plus fréquentes, et nous recherchons la sensation elle-même en dehors des désirs particuliers.

32. D’autre part, puisque le plaisir et la peine sont procurés par la sensation, et que tout ce qui est naturel est, comme la science, tourné vers le meilleur, il y aurait plutôt accompagnement de plaisir que de peine. En général, si la pensée n’est pas accompagnée de souffrance, il en est de même pour la sensation ; car dans les deux cas, la raison est la même pour la même utilité. D’ailleurs il n’y a même pas de preuve que l’excès des sensations ou leur durée occasionnent de la souffrance ; il est plutôt indiqué que la sensation consisterait en une certaine proportion, un certain tempérament avec l’objet senti ; c’est peut-être pour cela que ce qui est trop faible n’est pas senti, que ce qui est trop fort est pénible et fait tort aux sens.

33. On peut juger ce qui est selon la nature d’après ce qui est contre la nature ; car l’excès est contre la nature. Or il est clair et bien reconnu que parfois certaines sensations sont pénibles, comme d’autres sont agréables ; dès lors la sensation en général n’est pas plutôt accompagnée de peine que de plaisir, mais en réalité elle est probablement indépendante de l’une et de l’autre ; sans quoi elle ne pourrait juger de son objet, pas plus que l’intelligence qui serait continuellement accompagnée de peine ou de plaisir. L’opinion d’Anaxagore, en tant qu’elle s’applique à la sensation on général, s’appuie donc sur un point de départ tout à fait insuffisant.