Page:Tannery - Pour l’histoire de la science Hellène.djvu/382

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l’idée d’appliquer à la démonstration des vérités arithmétiques les procédés déjà en vigueur, depuis plus ou moins longtemps, pour la géométrie est-elle seulement venue à quelque mathématicien postérieur ? Il est bien difficile de se prononcer.

D’un côté, l’ordre même suivi par Euclide, le rejet de l’arithmétique après la géométrie, est absolument contraire à la tradition pythagorienne, et il ne semble pouvoir s’expliquer que si la partie des Éléments relative aux nombres a été, dans le corpus antérieur refondu par leur auteur, une addition faite depuis l’origine de ce corpus. D’autre part, Aristote connaît comme pythagorienne, pour l’incommensurabilité de la diagonale et du côté d’un carré, une démonstration qui se faisait en prouvant que la commensurabilité exigerait qu’un même nombre fût à la fois pair et impair. Or cette démonstration, qui d’ailleurs se retrouve encore aujourd’hui dans Euclide, suppose sur les nombres certaines notions qui ont pu, dès l’origine, être établies avec l’appareil géométrique et se trouver ainsi intercalées à une place n’ayant aucun rapport avec leur caractère primordial. Le noyau formé par ces notions aura pu être successivement grossi par les auteurs géométriques, depuis Hippocrate de Chios jusqu’à Euclide.

Quoi qu’il en soit, on doit constater : 1° que la façon dont Euclide a traité l’arithmétique ne peut aucunement être regardée comme une tradition pythagorienne ; 2° que le cadre qu’il a rempli a sans doute, sur certains points, dépassé les connaissances de l’École, car, même en admettant, par exemple, qu’elle se soit occupée des nombres parfaits, abondants ou déficients[1], il est invraisemblable que la construction euclidienne du nombre parfait ait été connue au temps de Platon ; 3° qu’au contraire ce cadre laissait en dehors nombre de questions dont les pythagoriens s’étaient certainement occupés, ainsi que je le montrerai plus loin, notamment celles relatives aux sommations, nombres polygones, pyramidaux, etc. ; 4° que par conséquent il y avait pendant la période hellène, au moins au IVe siècle, une façon de traiter l’arithmétique différente de celle qui devint, chez les mathématiciens, classique après Euclide, et que cette façon fut, dans la suite, attribuée aux pythagoriens.

2. Vers la fin du Ier siècle de notre ère, la tradition relative à ce

  1. Le nombre parfait est celui qui est égal à la somme de ses diviseurs, comme 6, 28, 496 ; le déficient est le nombre plus grand que cette somme, l’abondant, le nombre plus petit.