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CHAPITRE III. — THALÈS DE MILET.

mer que la géométrie ne s’y est guère élevée au-dessus des simples applications pratiques qui lui ont donné son nom.

Quand nous parlons de cette science, nous sommes habitués à la considérer comme un ensemble de théorèmes spéculatifs rigoureusement déduits d’un très petit nombre d’axiomes. Mais elle n’est devenue telle que peu à peu et sans doute assez lentement. À cette époque, il n’y avait qu’un recueil de procédés mal liés entre eux, servant à la solution de problèmes de la vie usuelle et dont la démonstration, quand elle se faisait, prenait son appui sur des lemmes alors regardés comme évidents, mais rigoureusement prouvés bien plus tard, quand ils n’ont pas été éliminés comme entachés d’erreur.

Qu’il y eût des arpenteurs en Grèce avant Thalès, on ne peut guère en douter ; les problèmes existaient, car la civilisation était suffisamment développée ; il fallait donc les résoudre, bien ou mal, comme, par exemple, le faisaient les Étrusques. Les traditions relatives aux travaux géométriques du sage de Milet signifient donc seulement qu’il perfectionna l’arpentage de son pays ; il n’y importa pas plus d’Égypte la géométrie que l’arithmétique, car, en tant que sciences théoriques, ni l’une ni l’autre n’existait encore ; en tant qu’arts pratiques, l’une et l’autre existaient partout où la propriété particulière était constituée.

Mais, sauf en Égypte, ces procédés techniques n’étaient sans doute l’objet d’aucune littérature, ils étaient assez simples pour se transmettre oralement. Thalès en aurait-il, le premier, traité par écrit en Grèce et serait-ce là son véritable rôle ? Aucun indice ne peut nous le faire supposer[1] ; en tous cas, quand plus tard Eudème écrivit ses Histoires géométriques, il en fut réduit à conclure, d’une ou deux solutions de problèmes élémentaires auxquelles le nom de Thalès était resté attaché, que celui-ci connaissait telle proposition que supposent ces solutions, mais il ne put rien affirmer sur la question de savoir si ces propositions étaient démontrées ou non.

Si maintenant on prend à la lettre les témoignages d’Eudème, tels que les a conservés Proclus dans son Commentaire sur le Ier Livre d’Euclide, si on accorde à Thalès l’invention des propositions qui lui sont ainsi attribuées, il s’ensuivrait que, contrairement à ce que déclare l’historien lui-même, le sage de Milet

  1. Le plus ancien traité grec sur l’arpentage parait avoir été écrit par Démocrite : περὶ γεωργίης ἣ γεωμετρικόν (Diog. L., IX. 48).