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Ce Picounoc est un monstre aussi invraisemblable que méchant. Détourné par la seule peur d’un acte que je ne saurais mentionner, mais que M. Lemay décrit au long, ce misérable se couche tranquillement dans son lit et le complaisant romancier lui envoie « un sommeil calme et des songes agréables. »

Je pourrais multiplier à l’infini les exemples de cette nature, mais je crois en avoir assez dit pour démontrer que le livre de M. Lemay est loin de posséder la première et la plus précieuse des qualités essentielles au roman : la moralité.

Sous le rapport de l’intérêt, le Pèlerin de Ste. Anne laisse beaucoup moins à désirer. Il y a de l’animation, de l’entrain dans le récit et dans la plupart des conversations ; l’intrigue est assez bien nouée ; les événements sont, à quelques exceptions près, vraisemblables, possibles du moins ; il y a des incidents très émouvants et l’intérêt va grandissant jusqu’à la fin du livre. Certains passages, tels que le songe de Geneviève, la fuite de cette malheureuse et de Marie-Louise, poursuivies par Racette, le miracle opéré en faveur du pèlerin, sont réellement bien écrits. Le miracle, surtout, fait honneur à la foi de l’auteur. Il y a dans ce tableau de la vivacité, je dirai volontiers de l’inspiration.

Ou réclame aussi pour le livre de M. Lemay un mérite spécial, celui de peindre fidèlement les mœurs des campagnes canadiennes. C’est une question de fait sur laquelle je ne puis me prononcer. Je ne suis pas Canadien et j’ignore les us et coutumes du pays, surtout en dehors des villes. Une chose, toutefois, me parait exagérée ; ce sont les mauvais procédés des enfants envers le muet qui se rend en pèlerinage à Sainte Anne ; on lui jette des pierres. Les gamins de la « Terre de Liberté » ne feraient pas pis.

Mais il ne faut pas croire que le Pèlerin de Sainte-Anne soit parfait même sous le rapport de l’intérêt. L’unité du récit est brisé par de nombreux hors-d’œuvre. Il y a, de plus, une confusion déplorable dans l’enchaînement des incidents’. En analysant le