Page:Tardivel - Vie du pape Pie-IX - ses œuvres et ses douleurs, 1878.djvu/18

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à s’asseoir, à se reposer. Un de ses collègues lui présenta un verre d’eau. Il était assis, et il restait tremblant, silencieux, immobile. Il n’entendait rien et il ne voyait rien, et deux ruisseaux de larmes sillonnaient ses joues.

« Cet ébranlement si profond, si vrai, causé par l’effroi de sa propre grandeur, gagna la plupart des cardinaux, auxquels il avait été jusque-là étranger, et les attendrit d’autant plus que, dans ces trésors de modestie et de sensibilité qui se révélaient à eux, ils virent la justification la plus inattendue et la plus touchante de l’acte qu’ils venaient d’accomplir.

« Au bout de quelques instants, le cardinal Mastaï se leva et rejoignit le bureau, soutenu par deux de ses collègues. Le dépouillement s’acheva lentement. Au dernier bulletin il avait lu son nom trente-six fois !

« Aussitôt les cardinaux se levèrent ; une seule voix retentit sous les plafonds de la chapelle Pauline du Quirinal. Le sacré Collège avait confirmé par acclamation le résultat du scrutin ! »

Jean Marie Mastaï Ferretti, l’humble évêque d’Imola, inconnu à Rome et ignoré du monde, est devenu tout à coup le plus grand homme de la terre, le chef de l’Église du Christ, le Pasteur des pasteurs, le Souverain des rois et des peuples. Il tombe à genoux et adore le Dieu qui vient de le choisir pour son vicaire. Des cardinaux, naguère ses égaux, s’écartent de lui avec respect. Puis, le nouvel élu se relève et répond à la question d’usage qu’il prend le nom de Pie IX. Voyait-il en ce moment la longue suite de tribulations dont la Révolution devait l’abreuver plus tard et songeait-il à ses deux illustres prédécesseurs, Pie VI et Pie VII, qu’il a surpassé par sa gloire et par ses douleurs ? Il est permis de le croire. Le soir même du 16 juin, il écrivit à ses frères, à Sinigaglia, pour leur annoncer la nouvelle de son élévation au trône pontifical : « Loin de vous réjouir, leur disait-il, ayez compassion de votre frère. » Le lendemain, mercredi, le 17 juin, le nouveau pape fut présenté au peuple romain par le cardinal Camerlingue, Riario Sforza. « Pie IX, raconte M. de Saint-Albin, reconnut aux battements de son cœur qu’il était père ; il n’y a que le cœur d’un père qui tressaille ainsi aux premiers cris de son enfant. Et la foule tomba à genoux sous la main bénissante, et des clameurs immenses portèrent jusqu’au ciel le nom auguste du nouveau Pontife. »

Quatre jours plus tard, le dimanche, 21 juin, 1846, eut lieu le couronnement, cérémonie imposante et tout opposée au couronnement des rois, car elle rappelle au nouvel élu ses