Page:Tardivel - Vie du pape Pie-IX - ses œuvres et ses douleurs, 1878.djvu/84

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loin, un pauvre se tenait sur le bord de la route : le Saint-Père s’approcha de lui, le bénit, l’appelant par son nom et lui remettant quelques pièces de monnaie : “Cognoseo ores tueas, je connais mes brebis, ” dit-il aux évêques avec un accent d’indéfinissable tendresse.

On voyait, vers la fin de septembre 1872, dans l’hôpital des Frères de Saint-Jean-de-Dieu, un homme au visage large et gras, aux joues pendantes, à l’œil hébété. Cet homme était un des plus tristes personnages auxquels eût donné passage la brèche de la porte Pia. Il avait été rédacteur en chef de la Tribune ; chaque matin il avait exhalé sa bile contre les prêtres, et surtout contre Pie IX. Un jour qu’il composait un article plus violent peut-être que les autres, il fut frappé d’apoplexie. On le transporta à l’hôpital. Qui se chargea de sa jeune famille ? Ni les sociétés secrètes, ni le gouvernement piémontais, personne ne s’en occupa, sinon Pie IX : “Voilà, dit le saint vieillard, une occasion de faire le bien à un ennemi ! ” Il ne put visiter le malade, mais il envoya des secours aux orphelins. Un de ces derniers racontait naïvement que son père avait été frappé en écrivant un article contre le Pape, et que c’était le Pape qui lui servait de père maintenant.

L’abbé Chocarne parlait à Pie IX d’une œuvre qu’il avait fondée en faveur des prisonniers repentants. Le Pape lui répondit : “Je m’intéresse d’autant plus vivement à cette œuvre que je suis moi-même prisonnier, quoique non repentant.

Comme on venait de donner un bal au Quirinal, malgré le deuil qu’aurait dû porter la princesse, aujourd’hui reine Marguerite à cause de la mort de son grand-père, Pie IX demanda si on avait des nouvelles de ce bal. On se taisait. Pie IX interpella Mgr Negroni, qui ne savait que ce que les journaux avaient rapporté : “Je tenais à connaître tout au moins dans quelle salle a eu lieu la chose, ajouta-t-il ; car il faudra préparer des tonnes d’eau bénite pour purifier le Quirinal, quand nous y reviendrons, Nous ou nos successeurs. ”

Un jour, pendant une audience, Pie IX interrogeait les assistants, selon son habitude, et demandant à chacun de quel pays il était, ce qu’il faisait. Il arriva près d’une jeune dame anglaise fort timide, et lui demanda où elle était née : “J’ai vingt-quatre ans, ” répondit la jeune dame, que son trouble avait empêché de comprendre la question de Sa Sainteté. Le Pape ne put s’empêcher de sourire : “Je n’ai pas demandé votre âge, dit-il, mais votre pays.” L’Anglaise, comprenant de moins en moins, se jeta aux pieds du souverain Pontife, en sanglotant : “Pardon,