Page:Tarsot - Fabliaux et Contes du Moyen Âge 1913.djvu/115

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père, dit-il, voici l’ennemi qui, depuis dix ans, vous a causé tant de maux et de chagrins. — Ah ! beau fils, s’écria Garins transporté, voilà, voilà comme on doit faire parler de soi à ton âge, et non par de folles amours. — Mon père, répliqua Aucassin, point de représentations, je vous prie ; j’ai tenu ma parole, songez à tenir la vôtre. — Quelle parole, beau fils ? — Eh quoi ! ne m’avez-vous pas promis, quand je suis sorti pour aller combattre, que vous me laisseriez voir et baiser encore une fois Nicolette, Nicolette ma douce amie, que j’aime tant ? Si vous ne vous en souvenez plus, pour moi je ne l’ai pas oublié. — Que je meure tout à l’heure si j’en fais rien, et si je ne voudrais, au contraire, l’avoir ici en ma disposition pour la faire jeter au feu en ta présence. — Mon père, est-ce là votre dernier mot ? — Oui, de par Dieu, oui. — Certes, je suis fâché de voir mentir un homme de votre âge. » Puis, se tournant vers Bongars : « Comte de Valence, lui dit-il, n’êtes-vous pas mon prisonnier ? — J’en conviens, sire. — Donnez-moi donc votre main. — La voici. — Or, maintenant, jurez-moi que toutes les fois que vous trouverez l’occasion de nuire à mon père et de lui faire honte, vous la saisirez aussitôt. »

« Sire, je suis votre prisonnier, et vous pouvez exiger de moi telle rançon qu’il vous plaira. Demandez or, argent, palefrois, chiens, oiseaux, fourrures de vair ou de gris, je puis tout vous promettre, mais cessez, je vous prie, de m’insulter et de vous moquer de moi. — Point de réplique, reprit Aucassin furieux. Faites ce que je vous demande, ou, mordieu, je vous fends à l’instant la cervelle. »