Page:Tarsot - Fabliaux et Contes du Moyen Âge 1913.djvu/20

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partager : il est pour vous trois. Oui, mon noble seigneur, répondirent les aveugles, et que Dieu, en récompense, vous donne son saint paradis. » Quoique aucun d’eux n’eût l’écu, chacun cependant crut de bonne foi que c’était son camarade qui l’avait reçu. Aussi, après beaucoup de remerciements et de souhaits pour le cavalier, ils se remirent en route, bien joyeux, ralentissant néanmoins beaucoup leur pas.

Le clerc, de son côté, feignit aussi de continuer la sienne. Mais, à quelque distance, il mit pied à terre, donna son cheval à son écuyer, en lui ordonnant d’aller l’attendre à la porte de Compiègne ; puis il se rapprocha sans bruit des aveugles et les suivit pour voir ce qu’il adviendrait de cette aventure. Quand ils n’entendirent plus le bruit des chevaux, le chef de la petite troupe s’arrêta : « Camarades, dit-il, nous avons fait là une bonne journée ; je suis d’avis de nous y tenir et de retourner à Compiègne manger l’écu de ce brave chrétien. Il y a longtemps que nous ne nous sommes divertis : voici aujourd’hui de quoi faire bombance ; donnons-nous du plaisir. » La proposition fut reçue avec de grands éloges, et nos trois mendiants aussitôt, toujours suivis du clerc, retournèrent sur leurs pas.

Arrivés dans la ville, ils entendirent crier : Excellent vin, vin de Soissons, vin d’Auxerre, poisson, bonne chère et à tout prix ; entrez, messieurs. Ils ne voulurent pas aller plus loin ; ils entrèrent, et après avoir prévenu qu’on n’appréciât pas leurs facultés sur leurs habits, du ton de l’homme qui porte dans sa bourse le droit de commander, ils crièrent qu’on les servît bien et promptement. Nicole, c’était le nom de l’hôtelier, accoutumé à voir des gens de cette espèce faire quelquefois dans