Page:Tarsot - Fabliaux et Contes du Moyen Âge 1913.djvu/53

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l’affliger davantage. Mais il est des cœurs soupçonneux que rien ne guérit, qui, lorsqu’une fois ils ont commencé ne peuvent plus s’arrêter, et pour lesquels la douleur des autres est un plaisir délicieux.

Non seulement la marquise paraissait avoir oublié son double malheur, mais, de jour en jour, Gauthier la trouvait plus soumise, plus caressante et plus tendre ; et néanmoins il se proposait de la tourmenter encore.

Sa fille avait douze ans, son fils en avait huit. Il voulut les faire revenir auprès de lui et pria la comtesse, sa sœur, de les lui ramener. En même temps il fit courir le bruit qu’il allait répudier sa femme pour en prendre une autre.

Bientôt cette barbarie nouvelle parvint aux oreilles de Griselidis. On lui dit qu’une jeune personne de haute naissance et belle comme une fée arrivait, pour être marquise de Saluces. Si elle fut consternée d’un pareil événement, je vous le laisse à penser ; cependant elle s’arma de courage et attendit que celui à qui elle devait obéir en voulut ordonner. Il la fit venir, et en présence de quelques-uns de ses barons, lui parla ainsi : « Griselidis, depuis plus de douze ans que nous habitons ensemble, je me suis plu à t’avoir pour compagne, parce que je regardais plus à ta vertu qu’à ta naissance ; mais il me faut un héritier, mes vassaux l’exigent ; et Rome permet que je prenne enfin une épouse digne de moi. Elle arrive dans quelques jours : ainsi prépare-toi à céder ta place ; emporte ton douaire et rappelle tout ton courage. — Monseigneur, répondit Griselidis, je n’ignore point que la fille du pauvre Janicola n’était pas faite pour devenir votre épouse ;