Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/102

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les coins, enfin on découvre, sous le treillage du fil de fer, un trou plus petit que ceux que font ordinairement les lapins. On pensa avec raison que c’était par cet endroit que ces bêtes, qui marchent si lentement, se sont mises en voyage ; on fouille une partie de la côte, les fourrés d’ajoncs et de genêts presque impénétrables ; mais nous ne trouvons rien. Après y avoir laissé la plus grande partie de la peau de nos mains et tout couverts d’égratignures, nous renonçons à nos explorations.

Huit jours après, j’aperçois une grande femme qui descendait le sentier de la côte. C’était Marie Seize, qui habitait toujours là-haut sur la butte appelée Nouvelle Calédonie. Quelques instants après, je suis tout surpris de la voir à la porte de la cuisine avec Monsieur. Elle écarte son tablier, qu’elle tenait relevé ; dedans se trouvaient nos huit tortues ; elles ont réintégré aussitôt la prairie, et Marie Seize fut récompensée de sa peine. Mon maître ne tarissait pas en louanges sur l’honnêteté de cette femme pauvre, qui aurait pu, disait-il, faire de la soupe avec ces pauvres bêtes.

Le grillage fut alors vérifié avec soin. Cette fois nous étions tranquilles pour nos rampeuses. Mais un mois à peine s’était écoulé, qu’elles avaient de nouveau repris la clef des champs. Malgré toutes nos précautions, nous ne pûmes jamais les garder ; elles nous jouèrent le tour plusieurs fois, et c’était toujours Marie Seize qui les rapportait. Mystérieuse coïncidence ! Que conclure ? Était-elle une charmeuse de tortues ? Ou bien, comme disait Monsieur en riant, ne lui avait-on pas fait la récompense un peu trop large la première fois ? La prime était si tentante…

À quelques jours de là, Cramoyson, près du bateau, réparait une bordure. Mon maître s’approche et lui