Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/125

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tout le long de l’épine dorsale, puis vous repose sur la table, comme un lapin qu’on a fait passer de vie à trépas par cette opération.

« Après cette séance, je suis allé voir le directeur de l’établissement, car, je vous avoue, j’étais un peu effrayé. Mais il m’a absolument rassuré, me donnant des détails très précis sur les talents de ce masseur nègre. Tout de même, je n’ai jamais rencontré aucun masseur qui le vaille. »


17 décembre. — Mon maître s’est mis très sérieusement au travail ; le petit poêle fait son effet.


18 décembre.M. de Maupassant me dit : « Vous me réveillerez demain matin à 5 heures, je vais à l’hôpital voir le médecin-major, le docteur Charvot, qui va couper la jambe à un malheureux, lequel doit, dix jours plus tard, marcher sur le moignon avec une jambe de bois. Si j’en crois le docteur, il paraît qu’il va lui mettre sa jambe dans une solution qui le guérira dans un délai très court. »

Rentré vers 9 heures, Monsieur me demande de l’eau pour faire sa toilette : « Je ne me sens pas disposé à travailler ce matin, je vais sortir un peu au grand air. Vous ne pouvez vous faire une idée de cet hôpital : c’est un vrai charnier humain en décomposition, c’est une horreur !… ou plutôt toutes les horreurs réunies, et aussi une honte ! Dehors, tout autour des murs, des morts et des mourants sont là, roulés dans quelques mauvaises guenilles ; ce sont des Arabes, me dit-on, que l’on n’a pas pu admettre faute de place. Deux fois par semaine, on passe reconnaître ceux qui ont cessé de vivre, on les jette dans un tombereau et on va les enfouir à un endroit désigné. »