Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/133

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quoi, nous retournâmes en ville, en longeant le quai de la Fraternité, où les restaurants populaires, les marchands de soupe et de bouillabaisse se touchent. L’étiquette ne ment pas, c’est ici la fraternité en action, tout ce monde grouillant se tutoie, l’ensemble paraîtrait peut-être original, surprenant, si l’on ne se savait à Marseille.

Chemin faisant, les matelots déclarèrent à mon maître que le bateau était absolument sain et construit avec le meilleur bois qui existe, le chêne blanc d’Écosse.


Le 18 janvier, à 6 heures du matin, nous étions, mon maître, Bernard, Raymond et moi dans le vieux port de Marseille, à bord du Zingara, qui, à partir de ce jour, prit le nom de Bel-Ami. Le temps est douteux, il y a un peu de remous. « Cela indique de la houle au large », dit Bernard ; on décida quand même de prendre la mer…

Vers 7 heures, un petit remorqueur conduit le Bel-Ami en une demi-heure en face du Château d’If. L’amarre fut lâchée ; nous étions réduits à nos propres moyens pour marcher. La grande voile fut hissée, puis un foc et la voile d’artimon. Ce fut tout, nous ne pouvions plus nous occuper ni de la voile de flèche ni du grand foc. Une très forte houle secouait notre pauvre petit navire, sans vent déterminé.

Bernard disait : « Je préférerais une tempête à ce semblant de brise, sur une mer semblable. » Et il envoyait une imprécation, mais le golfe du Lion n’entendait pas Bernard, il continuait à nous envoyer de grosses montagnes d’eau, qui parfois se contrariaient et claquaient dur en se brisant sur les flancs et sur le pont du Bel-Ami.

Mon maître tenait la barre et ne paraissait pas du tout ému. Je ne saurais affirmer qu’il en fût de même pour