Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/187

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sourire errait sur ses lèvres… Le spectacle l’occupait entièrement ; il le gravait en lui pour le mieux saisir, le mieux définir et imprimer définitivement dans son cerveau cette sensation agréable qu’il éprouvait. En ce moment, son visage, tout de sérénité, donnait l’impression absolue du contentement…

Cependant, à la grande lumière du jour, ce visage offrait quelques signes de fatigue, mais l’expression en était si intelligente qu’elle effaçait tout.

En commandant le déjeuner à la servante, M. de Maupassant lui demanda que ce fût soigné : « Moi, je prendrai de l’eau de Saint-Galmier comme boisson. » Se tournant vers moi : « Vous, François, vous prendrez ce que vous voudrez. » Quand la jeune fille fut partie, il ajouta : « J’ai toujours plus de confiance dans ces restaurants populaires, lorsque c’est servi par des femmes. » Puis, il se mit à me raconter quelques anecdotes qui lui étaient arrivées au temps où il canotait régulièrement.

« Une fois, j’étais parti de Croissy pour me rendre à Paris, avec l’intention de canoter une partie de la nuit. Mais arrivé au delà de Carrières-Saint-Denis, à un endroit nommé la Folie, là où la voie ferrée, qui va de Paris à Maisons-Lafitte, franchit la Seine, je cassai un de mes avirons. Alors j’amarrai ma yole à la berge et je partis à pied pour Paris. J’arrivais à Bezons en suivant toujours la berge de la Seine, quand un énorme chien, qui gardait des dépôts, se dressa devant moi. Je n’avais rien pour me défendre, pas même une canne ; j’étais en pantalon de coutil et en maillot. Dans cette situation, je jugeai la lutte inégale et me jetai à la nage pour traverser la Seine. L’animal en fit autant ; il n’arriva pas à me rejoindre, parce que, bon nageur, je l’amusais. Je lui fis remonter le courant, ce qui lui était très difficile et