Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/217

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étrangement. Une fois tout ce monde monté à bord, le maître d’équipage, avec un sourire un peu goguenard, nous dit que ces trente-six femmes japonaises ici présentes étaient venues pour charmer les loisirs de l’équipage pendant le séjour qu’il devait faire à cet endroit. Jugez un peu, comme on dit à Marseille, de la joie de tous.

« Je n’essaierai pas de vous faire un tableau de ce paradis de Mahomet. Vous devez le comprendre, et moi, quand j’y pense, je sens encore des frissons courir dans mes veines. Ce que je puis vous affirmer, c’est que nos compagnes furent aimables. Elles nous apprirent les danses de leur pays. Un fait remarquable et qui a bien son intérêt pour dépeindre un peu le caractère et les mœurs de ces étrangères, c’est qu’elles faisaient tout ce qu’elles pouvaient pour rester fidèles à chacun de nous ; chacune reconnaissait très bien celui qui l’avait élue. Moi, je n’aurais pu en faire autant, je trouvais que tous ces museaux couleur de citron se ressemblaient.

« Ces six semaines, comme bien vous pensez, nous parurent courtes en pareille compagnie et les adieux furent touchants… »

Ici, Bernard interrompit le conteur en lui disant d’un air blagueur : « C’est bon, cause toujours ! » Raymond lui répondit : « Tu es jaloux, mon vieux, et tu aurais bien voulu partager notre aubaine. En tout cas, on pourrait bien rire encore plus tard, car nous avons peut-être contribué à renouveler la race jaune. »

Raymond en disant cela était superbe. On aurait dit Jean Bart donnant l’ordre de couler l’escadre anglaise.

Là-dessus, M. de Maupassant me fit servir son thé, et commanda pour l’équipage quelque chose de calmant.