Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/23

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La Louisette les attendait pour les transporter à l’île du Masque de fer, dont ils se disaient déjà les propriétaires.

Je n’ai pas assisté au désappointement du président lorsqu’il apprit que l’île Sainte-Marguerite n’était pas à vendre et qu’elle appartenait à l’État. Je ne l’ai revu que deux ans plus tard, à Paris, assez changé, tout blanc déjà.


Mon maître achevait un roman qui devait paraître en avril ; les épreuves arrivaient coup sur coup, j’étais sans cesse sur le chemin de la poste. Le monde chic arrivait en foule à Cannes… Monsieur recevait beaucoup d’invitations ; il fut bientôt aussi débordé qu’à Paris.

L’escadre de la Méditerranée mouillait dans le golfe Juan ; mon maître voulut aller la visiter. Un jour qu’elle devait faire des manœuvres au large, je l’accompagnai jusqu’à sa Louisette pour y porter quelques objets. Il était le seul à sortir, car il y avait beaucoup de mer, et un très fort vent de sud-ouest. Je le regardai s’éloigner avec son vieux matelot Galice qui, à première vue, avait passé l’âge de naviguer.

Le soir, ce vieux loup de mer, ayant rapporté les différents objets qu’on ne laissait jamais à bord, prit comme d’habitude un verre de bon vin. Quand il eut fini de souffler et que ses poumons eurent retrouvé un peu de calme, il me confia que jamais, dans sa carrière pourtant longue de marin, il n’avait vu l’égal de M. de Maupassant. « Il est adroit, disait-il, il a l’œil à tout et il connaît la lame comme un vieux marin. Il est d’une hardiesse qui fait parfois trembler ; songez donc que cet après-midi, avec notre légère baleinière tout ouverte, nous avons remonté des vagues énormes, jusque vers la haute mer.