Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/273

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de la demeure de Mme de Maupassant. Les premières nuits sont à peu près bonnes ; il attribue ce bien-être au voisinage des orangers, ce calmant de plein air.

Dix jours plus tard, nous partons avec le Bel-Ami. Tout le nécessaire est à bord pour un grand voyage : les fusils, les carabines américaines et un compas tout neuf bien plus important que l’ancien. Monsieur l’a étudié et s’en sert parfaitement pour relever la route. Les feux aussi ont été remis à neuf. Nous prenons la mer un matin, par un fort vent d’Est et, dans l’après-midi, le Bel-Ami retrouve son amie la Ville-de-Marseille auprès du môle de Cannes où mon maître descend. Il suit un peu le bord de la rade, le long des barques de plaisance qui, tirées au rivage, donnent l’impression d’une cité de petites demeures blanches. Leurs mâts émergent en fins clochetons ; on dirait des cheminées.

Mon maître suit toujours le bord de la mer et, un peu avant l’établissement de bains, sa silhouette disparaît dans un jardin qui borde la route de la Croisette. Dans un nid de verdure, se trouve une villa aux balcons dorés. Il me semble voir encore l’illustre romancier poser la main sur la rampe pour s’aider à gravir le demi-étage d’où l’on domine l’horizon. Il allait retrouver la dame à la tenue modeste, impeccable et rigide, l’énigmatique…

Le Bel-Ami, après deux journées de repos, hisse ses couleurs qui flottent, faisant sous la pression du vent un bruit singulier, qui semble crier adieu… Le cap Roux, Agay, Saint-Raphaël, tous ces jolis pays où notre yacht s’est si bien reposé les années précédentes, sont dépassés, brûlés, avec une vitesse superbe. Le jour suivant, nous saluons au passage Porquerolles et, le soir, nous sommes dans le vieux port de Marseille, où je me demande si le Bel-Ami se reconnaît. En tout cas l’ex-Zingara est aujour-