Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/311

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Trois jours après notre arrivée dans cette maison de santé, M. le docteur Blanche se présenta à onze heures du matin. M. de Maupassant commençait à déjeuner. Après lui avoir dit bonjour et serré la main, le célèbre aliéniste s’assit et assista au repas. Il parla de différentes choses, lui posa des questions à l’improviste. Mon maître répondit à tout avec à-propos. Il faut dire qu’il connaissait déjà M. Blanche et qu’il l’estimait beaucoup. En sortant, le docteur me dit : « Votre maître fait tout ce que vous lui demandez, c’est une bonne chose. Il a répondu juste à mes questions, tout espoir n’est pas perdu !… attendons… » Ces paroles d’espoir me mirent du baume au cœur et je bénis ce brave homme, aux cheveux blancs, à la figure digne, qui inspirait à première vue confiance. Mon maître pouvait guérir ! L’illustre spécialiste l’avait dit et je crus en lui.

Jusque vers le 20 avril, je soignai donc M. de Maupassant, secondé par les infirmiers, avec la ferme pensée d’arriver à un bon résultat. Sa santé physique était bonne, son moral me paraissait aussi très amélioré. À peine quelques hallucinations venaient-elles traverser son repos d’esprit. Parfois il se plaisait à nous raconter des plaisanteries très drôles, avec cette verve inimitable que je lui connaissais et il était heureux de nous voir rire, son gardien et moi.

Un soir d’avril, j’étais occupé à écrire à madame sa mère. Tout à coup il me reprocha de m’être substitué à lui, au journal le Figaro, et d’avoir médit de lui dans le ciel (sic). Il ajouta : « Je vous prie de vous retirer, je ne veux plus vous voir. » Je restai stupéfait, mon cœur se contracta, mais, sur les conseils de Baron, le gardien, qui savait mieux que moi qu’il ne fallait pas contrarier ce genre de malades, je me retirai.