Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/78

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Le lendemain de ces déjeuners, M. de Maupassant parlait toujours beaucoup, ce qui était contraire à ses habitudes à la maison. Voici en substance ses confidences :

« Voyez-vous, ces dames du monde n’ont rien qui plaise ; elles ont de l’esprit, c’est vrai, mais de l’esprit fait au moule, comme un gâteau de riz assaisonné d’une crème. Leur esprit vient de leur instruction du Sacré-Cœur ; toujours les mêmes phrases, faites des mêmes mots — C’est le riz ! — Puis toutes les banalités qu’elles ont recueillies dans la société depuis. — C’est la crème ! Et toujours elles vous servent le même plat. Vous savez combien j’adore le riz, mais tout de même, je me refuserais à en manger tous les jours.

« Je ne puis établir aucune comparaison entre ces femmes du monde et les femmes artistes nées dans un milieu intellectuel. Ces dernières vous donnent des joies par l’imprévu de tout ce qu’elles vous disent ; leur verbiage ne s’arrête pas court, elles vous parlent musées, théâtre, musique, montagnes, villes, et tout cela dit d’une façon qui vous ensorcelle, au point que souvent on perd la notion du temps. On resterait volontiers anéanti dans les coussins du divan, se croyant transporté au milieu de quelque cité de féerie… »

Après avoir ainsi donné libre cours à ses réflexions, mon maître me dit : « La corbeille qui ornait la table hier était très réussie. Où pouvez-vous trouver toutes ces fleurs ? Je n’en vois nulle part. » Je répondis qu’en cherchant bien on en trouvait encore.


Nous sommes à la veille de la fête Sainte-Colette, qui est toujours l’objet d’une réjouissance intime. L’hiver qui existe à peine sur le littoral a déjà fait place au prin-