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Et de recompter là, tout pâles d’épouvante,
Ces battements du cœur que nous ne sentons plus !

Non, non, je ne saurais les voir, ni les relire
Ces mots qui m’ont paru les accords d’une lyre ;
Qui, les mêmes toujours dans leur sens apparent,
Éveillent dans mon âme un écho différent !
Eh ! qui peut, corrigeant le travail d’un autre âge,
Sur un métier nouveau remettre un vieil ouvrage !
Au mien, beau seulement de ses fraîches couleurs,
J’ai manqué bien des points, j'ai gâté bien des fleurs,
Je le sais ! Mais comment en rassortir les soies ?
Je n’ai plus de ce temps les douleurs ni les joies !
Puis d’ailleurs, à quoi bon retirer du chemin
Quelque faute échappée à ma novice main ?
La route sur mes pas autrefois parcourue,
Aujourd’hui[1], j’en ai peur, sera bien peu courue.
Songez-vous qu’en six ans passés, chaque saison
A cueilli tour à tour sa funèbre moisson ?
Qu’en six ans, les soleils qui se suivent sans cesse
Ont vu fleurir l’enfance et mûrir la jeunesse ?
Que nous avons compté, parmi leurs jours pesants,
Trois jours où notre France a vieilli de dix ans ?
Que la tombe a triplé sa proie accoutumée ?
Hélas ! combien sont morts de ceux qui m’ont aimée !
Combien d’autres pour moi le temps aura changés !
Je n’en murmure pas ; j’ai tant changé moi-même !
Force est bien d’obéir à cette loi suprême :
Mais où retentiront mes chants découragés ?
Mes amis, où sont-ils ? Notre mobile race
De dix ans en dix ans renouvelle sa face ;
Que pourrait demander de faveur ou d’appui
Le poète d’alors au public d’aujourd’hui ?
L’homme des jours présents ne va plus, solitaire,
Les yeux perdus au ciel, ou baissés vers la terre :

  1. 1833