Page:Taxil, Mémoires d'une ex-palladiste parfaite, initiée, indépendante.djvu/39

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volume. Mon corps était spectral, aérien, fluidique. À ma volonté, je grandis, je grossis, je me rapetissai, je me supprimai totalement, pour revenir ensuite, reparaître. J’étais du feu vivant. Je dégageais, en quelque sorte, une électricité surnaturelle ; j’étais cette électricité moi-même.

— Êtes-vous satisfaite, chère Diana ? me demanda Asmodée.

— Oui, oui, je brûle de combattre. Sus, sus aux maléakhs !

J’étais transformée en daimone ; du moins je le croyais ; j’ai cru longtemps à la réalité de cette illusion diabolique. Avoir été daimone, avoir été esprit du feu, avoir vécu quelques heures de ce que j’appelais la vie céleste, quel rêve !

Et me voilà aux côtés d’Asmodée, traversant l’espace avec instantanéité, volant avec lui à la tête des quatorze légions.

— Placez-vous au centre, me répétait-il.

— Non, non, je suis digne du premier rang. Voyez cette épée de feu qui est dans ma main, venue je ne sais comment ; voyez cette flamme qui brûle au sommet de ma chevelure ; voyez mon corps fluidique qui a pris des proportions colossales. Je suis esprit d’élite. Je vaincrai à la tête de vos vaillantes légions… En avant ! Sus, sus aux maléakhs !

Nous étions arrivés auprès de l’Éden. J’apercevais les maléakhs en lignes épaisses et multipliées, entourant l’immense jardin, plus grand que Pékin, Londres, Paris et New-York réunis : c’était un large cordon de défense, horrible, monstrueux. Je dirai tout à l’heure comment, aujourd’hui éclairée, je traduis ce que j’ai vu ; comment je comprends l’infernale comédie jouée ce jour-là pour me tromper. Qu’on me permette, pour le moment, de raconter l’aventure avec les termes de l’erreur des palladistes ; l’explication rectificative sera mieux saisissante, après.

Les maléakhs, c’est-à-dire les esprits malfaisants, les mauvais génies d’Adonaï, quoiqu’étant à mon sentiment les anges chers aux catholiques, n’étaient pas les anges tels que les catholiques se les représentent. Je les voyais ainsi que l’orthodoxie palladique les dépeint : affreux, repoussants, abjects, dragonneux, ayant la face jaunâtre ou verdâtre teintée du livide des cholériques, le corps contorsionné, doté d’une queue ridicule, les oreilles larges et pointues dépassant le haut de la tête, l’aspect grotesque, laid, méchant. Ils s’agitaient, grouillaient, montaient les uns sur les autres. Il y en avait qui ne se composaient que d’une tête plantée entre deux ailerons de chauve-souris fantastique, et du cou pendait une poche flasque, terminée en queue de colossale sangsue. D’autres, au contraire, possédaient plusieurs paires de bras et de jambes, un ventre double, ou triple, ou quadruple, un dos bossu en pointe couverte d’écaillés fétides, le nez absent remplacé par un trou triangu-