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laire qui bavait, ainsi que la gueule aux crocs irréguliers et pourris. Tout cela hurlait, grognait, menaçait. Nos daimons étaient de splendides anges de lumière ; les ténébreux maléakhs réalisaient les plus épouvantables cauchemars.

Voilà quels étaient les gardiens du Paradis Terrestre.

Ils se massèrent pour nous opposer un front de bataille. Leur chef était Zachariel ; je le vois encore parcourant ses noires légions et les excitant contre nous.

— Par Lucifer, à nous sera la victoire ! clama Asmodée.

C’était ce cri qui devait engager le combat.

Nous nous élançons sur l’ennemi. Alors, tout en demeurant esprits, nous nous heurtions en des chocs formidables ; on se traversait les uns les autres, dans les poussées de cette lutte surnaturelle, incompréhensible pour l’humain. Les coups se ressentent, comme si l’on était des corps matériels ; mais on n’est pas blessé. Les maléakhs arrachaient des arbres, des rochers, et nous les lançaient ; quelques-uns plongeaient on ne sait où, reparaissaient tenant des animaux féroces, tigres, crocodiles, hippopotames, et nous en lapidaient ; ces bêtes, n’étant pas esprits, étaient foudroyées au contact de nos épées de feu ; mais, projectiles vivants, elles remplissaient l’air d’effroyable vacarme, avant d’expirer sous nos coups.

Nous, nous ne combattions que par l’épée. Dans la mêlée, Asmodée et moi, nous tenant côte à côte, nous recherchions surtout Zachariel, et chaque fois nous fondions sur lui, le traversant nous-mêmes, comme si nos épées de feu nous ouvraient un passage en lui ; et il poussait alors des cris de rage, des rugissements de douleur, nos natures célestes étant contraires à la sienne. C’était terrible.

Dans ces combats entre esprits, tout est dans cette pénétration mutuelle ; le soufrant est celui qui est traversé.

Enfin, lassés, battus, vaincus, les maléakhs se dispersèrent et nous cédèrent la place.

Le but n’était pas d’occuper l’Éden. Il s’agissait de me le faire visiter, après défaite des maléakhs ; la volonté de Lucifer avait été exprimée ainsi. Les quatorze légions de daimons demeurèrent donc là, afin de mettre obstacle à tout retour offensif de l’ennemi. Asmodée choisit trente-trois de ses légionnaires pour me servir d’escorte : alors, nous pénétrâmes dans le Paradis Terrestre.

Asmodée était mon guide. Il me montra avec complaisance les beautés du lieu, où les glaces de l’hiver sont inconnues. Des milliers et des milliers d’oiseaux, au varié plumage des plus riches couleurs,