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chantaient partout dans les branches, et quelle joyeuse harmonie en leur concert ! Les plus belles fleurs du printemps étalaient leur profusion, parmi les plus beaux fruits de l’été et de l’automne. Le parfait accord régnait entre les diverses espèces de la gent animale ; les faisans d’or et d’argent ignoraient l’effroi ; les superbes lions, à la crinière luisante et propre, jouaient avec les gracieuses biches.

J’étais émerveillée.

Asmodée me fit voir la mare d’où Lucifer, selon la légende apadnique, tira l’Adam imparfait, créé par Adonaï, et le bosquet où le Dieu-Bon, apparaissant à Eva, sous le nom d’Eblis, voulut affectueusement qu’elle appelât « Caïn » son premier-né, dont la tradition adoptée par les palladistes prétend qu’Adam ne fut pas le père. Il me remémora tous les souvenirs des dogmes lucifériens, ceux qui sont particulièrement attachés à l’Éden. Et moi, je buvais ses paroles, je regardais avec un puissant intérêt tout ce que son doigt me désignait ; à chacun de mes pas, un nouveau ravissement.

Malgré les siècles, m’expliqua-t-il, rien ne subit les atteintes de la vieillesse en ce lieu privilégié de la Terre. Les arbres s’y sont développés jusqu’au point où la maturité est dans toute sa force, mais pour y demeurer en état stationnaire ; loin d’avoir leur tronc et leurs rameaux dépouillés et rongés par le temps, chaque année la sève puissante les rajeunit. Il en serait de même des animaux, s’ils restaient dans l’Éden ; mais, n’ayant pas l’intelligence, beaucoup franchissent les limites du jardin de délices et se trouvent dès lors dans les conditions malheureuses de toutes les autres créatures.

Toujours d’après le système luciférien, c’est par haine de l’humanité qu’Adonaï a placé ses lignes de maléakhs tout autour du Paradis Terrestre. Cependant, ils sont invisibles pour les hommes ; seule, leur influence malfaisante les éloigne, irrésistiblement les repousse si quelques-uns s’aventurent dans ces parages, sans qu’ils puissent soupçonner qu’il y a là l’Éden béni. Aux yeux de l’humain, par l’effet d’un mirage trompeur que produisent les maléakhs, la nature en cet endroit paraît stérile, dévastée, morne et déserte, c’est-à-dire tout le contraire de ce qu’elle est.

Lors du déluge, par un miracle de Lucifer, l’Éden fut préservé de l’inondation générale ; les eaux, dont Adonaï versa des torrents sur la Terre pour noyer tout, n’y tombèrent point, et les vagues diluviennes, qui ailleurs multipliaient les ravages, s’arrêtèrent aux abords comme si une digue infranchissable s’élevait au fur et à mesure de la croissance des flots.