Page:Taxil, Mémoires d'une ex-palladiste parfaite, initiée, indépendante.djvu/45

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formidablement mon erreur ; et l’éducation que j’avais reçue m’empêchait de soupçonner que je servais ainsi de jouet au prince des faux miracles, au roi des prestiges.

Tous ceux qui, venant à Charleston, sont admis aux mystères du Sanctum Regnum, — je ne parle pas des visiteurs haut-gradés à qui les divers appartements de l’immeuble sont montrés à titre de curiosité, je parle des Mages Élus et des Maîtresses Templières que le prétendu Dieu-Bon a fait appeler, — tous ceux-ci sont dupés comme je l’ai été. De même qu’il y a des sanctuaires chrétiens privilégiés, où les miracles sont fréquents, ainsi le Sanctum Regnum de Charleston a le plus haut privilège infernal, et les prestiges s’y multiplient toute l’année. Là, le palladiste fanatique est en communication directe avec Satan en personne. Une prière fervente, et voilà une apparition : les daimons vous saisissent, vous emportent, vous rassasient d’aventures plus merveilleuses les unes que les autres ; ou, du moins, de ce lieu ultramaléficié vous sortez croyant fermement à tout ce dont vous avez eu l’illusion.

Quand on a sucé l’erreur avec le lait, quand on a eu dès le berceau la croyance en une divinité double, en deux éternels principes contraires se combattant sans répit, on est inébranlable dans l’erreur, à moins d’un miracle de la grâce. Tous les raisonnements échouent, se brisent contre ce roc : avoir vu Lucifer en splendeur la plus magnifique, avoir des daimons protecteurs qui vous comblent de bontés et qui vous paraissent bouleverser pour vous toutes les lois de la nature, avoir assisté en témoin oculaire à des luttes victorieuses d’esprits du feu contre maléakhs.

Comment pouvez-vous soupçonner que ce sont des daimons du même ordre qui se montrent les uns beaux et les autres hideux et qui se battent par pure comédie pour vous faire constater l’invariable défaite de ceux-ci ?… Ces batailles entre esprits sont fréquentes au sein des Triangles ; elles laissent une impression ineffaçable chez ceux qui en sont témoins ; car tous ne voient pas.

Moi, j’ai eu toutes les illusions possibles et impossibles ; il en est peu, je crois, à qui Satan ait prodigué autant les prodiges, les uns par tromperie du sens visuel, les autres vrais jusque dans une certaine mesure. Parmi ces derniers, et dûment constatés : j’avais l’extase avec ascension, le plus souvent horizontale ; je marchais sur l’eau, etc. Tant le Maudit avait à cœur de me retenir, qu’il m’a même, un jour, emportée en son royaume du feu éternel ; mais ceci, certainement, a été une illusion, puisque son prétendu royaume n’était pas l’enfer de damnation tel que le décrit l’Église.