Page:Taxil, Mémoires d'une ex-palladiste parfaite, initiée, indépendante.djvu/44

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à tant d’autres, surtout à Charleston ; mais, parce que j’avais été élevée dans l’erreur, il a voulu la perpétuer : c’est pour répondre à mon désir, pour ne pas démériter à mes yeux, qu’il s’est paré d’un éclat usurpé et d’une beauté mensongère. Je l’ai donc vu, mais autrement qu’il est.

Tout le reste, je ne l’ai pas vu. J’ai été victime d’illusions, exécutées avec une surnaturelle adresse. J’ai cru descendre dans les flammes, traverser l’espace en compagnie de Lucifer, arriver en une région des plus belles ; j’ai cru combattre des maléakhs, les vaincre aux côtés d’Asmodée, à la tête de quatorze légions d’esprits du feu ; j’ai cru pénétrer dans le Paradis Terrestre, le visiter, entendre les explications d’un céleste guide ; j’ai cru être transportée en Oolis par un aigle blanc, de création luciférienne, revenir sur et sous Terre par cette aviation digne d’un conte de fées, traverser indemne l’embrasement d’un volcan et le feu central ; oui, j’ai cru tout cela, comme l’halluciné croit ce qu’il voit et qui pourtant n’est pas.

Tout cela est mensonge, donc mystification ; car il n’est aucunement au pouvoir de Satan ni de ses daimons de reconstituer l’Éden, de transformer en hideux monstres les anges de Dieu, et de leur infliger une défaite en combat corps à corps. Ces trois faits sont la preuve de l’imposture du tout. Si le diable, se déguisant en ange, s’était borné à me transporter dans les airs à des distances extrêmement éloignées et avec la rapidité de la foudre, peut-être n’y aurait-il pas eu illusion ; car cela ne dépasse pas son pouvoir. Mais les trois points sur lesquels j’insiste sont trois impossibilités manifestes, dès qu’on a la foi chrétienne.

Donc : illusion, illusion, illusion.

L’halluciné s’imagine voir des choses aussi extraordinaires que celles par moi rapportées. Par tel état maladif, par tel dérangement dans les organes, il y a ainsi absolue perturbation et erreur extraordinaire dans le sens visuel. Or, ce qui a lieu pour l’halluciné, individu détraqué, Satan peut le produire pour une personne entièrement saine de cerveau, nullement folle, ayant tous ses organes en fonctionnement parfait. Cette illusion est un incident exceptionnel ; elle dure ce que Dieu permet au Maudit de la faire durer ; une fois qu’elle a cessé, la victime de Satan est dans son état normal. Ainsi, l’hallucination accidentelle d’un individu n’ayant rien de ce qui distingue l’halluciné dont s’occupent les médecins, voilà bien ce qui appartient au domaine du surnaturel diabolique.

Il est certain, à mon sens, que le 8 avril 1889, à Charleston, j’ai été non pas une hallucinée selon le terme médical, mais que j’ai été possédée au plus haut degré par Lucifer, qui, après m’avoir menti en hypocrite consommé, m’a prodigué les plus habiles illusions de nature à fortifier