Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 1.djvu/101

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tinte encore au réveil ; de même encore au réveil on sent dans la bouche la saveur d’un médicament qu’on a pris en rêve.

Tantôt l’hallucination emprunte ses éléments, non plus à la sensation prolongée, mais à la mémoire plus ou moins lointaine d’une sensation antérieurement éprouvée. En voici un exemple frappant :

« Au début de mes études médicales, dit le professeur Andral, je fus vivement frappé de voir, dans un des coins des salles de dissection de la Pitié, le cadavre d’un enfant à demi-rongé par les vers. Le lendemain matin, en me levant et m’approchant de la cheminée pour allumer mon feu, je vis ce cadavre. Il était bien là ; je sentais son odeur infecte, et j’avais beau me dire qu’il était impossible qu’il en fût ainsi, cette hallucination dura un quart d’heure. »

Tantôt enfin l’imagination seule fait tous les frais de l’hallucination ; tel le cas cité par le docteur Michéa :

« Une couturière, âgée de vingt-huit ans, qui se trouve en ce moment à la Salpêtrière, est atteinte d’une érotomanie. Elle est éperdument éprise du prince de J… ; elle pense exclusivement à lui, au point qu’avant son entrée à l’hôpital, abandonnant la couture, son unique ressource, elle stationnait ou rôdait tous les jours, du matin au soir, aux alentours des Tuileries, dans l’espérance de voir sortir ou rentrer le prince, et de lui déclarer son amour, soit oralement, soit par écrit. Depuis qu’elle est à la Salpêtrière, elle entend très souvent et très nettement, tantôt au milieu du jour, tantôt dans le silence de la nuit, mais toujours pendant l’état de veille, elle entend des voix qui lui parlent du prince, qui lui disent : « Monseigneur est en ce moment à sa toilette. Monseigneur part aujourd’hui pour la chasse. Monseigneur s’embarque demain sur la Belle-Poule. »

Évidemment, ce sont là de pures conceptions de l’imagination transformée, ou traduites en sensations illusoires ; et dans ce cas, l’hallucination peut quelquefois revêtir les caractères de la seconde vue, particulière aux somnambules.

Dans l’une ou l’autre de ces deux dernières classes peuvent se ranger les hallucinations volontaires, assez rares cependant, où l’esprit commande et dirige à son gré les phénomènes illusoires qui les composent. L’hallucination alors devient de la monomanie.

« Nous avons eu pendant longtemps sous les yeux, dit le même docteur Michéa, un monomaniaque, homme d’un esprit ardent et cultivé, qui traduisait instantanément en fausses perceptions visuelles toutes les idées qui lui passaient par la tête. Il n’avait qu’à se rappeler ou à concevoir une chose ou une personne, pour qu’aussitôt cette chose ou cette personne fût douée pour lui d’une apparence de réalité antérieure. Un jour, nous le trouvâmes, le regard fixe, la bouche souriante, et frappant ses deux mains en signe d’ap-