Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 1.djvu/123

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cience que c’était une hallucination. Seulement l’illusion m’était douce et chère, et j’essayai de la prolonger le plus longtemps possible… Cette apparition fut tellement frappante, qu’aujourd’hui encore je sais l’évoquer sans peine. » (Revue philosophique, 1885.)

— « J’ai connu, dit Wigan (New view of insanity, London, 1844), un homme fort intelligent et très aimable, qui avait le pouvoir de placer son image devant lui ; il riait souvent de bon cœur à la vue de son sosie, qui paraissait aussi lui-même toujours rire. Cette illusion fut pendant longtemps un sujet de divertissement et de plaisanterie ; mais le résultat en fut déplorable. Il se persuada peu à peu qu’il était hanté par son double. Cet autre lui-même discutait opiniâtrement avec lui, et à sa grande mortification le réfutai quelquefois. À la fin, accablé d’ennuis, il résolut de ne pas recommencer une nouvelle année, paya toutes ses dettes, enveloppa dans des papiers séparés le montant des dépenses de la semaine, attendit, pistolet en main, la nuit du 31 décembre, et, au moment où la pendule sonnait minuit, il se fit sauter la cervelle. »

— Un médecin d’un grand savoir, ami intime de Walter Scott, fut appelé à donner des soins à un homme remplissant une place importante dans un département particulier de la justice. Il était alors retenu dans sa chambre, gardait quelquefois le lit, tout en continuant de temps à autre à s’occuper des devoirs de sa charge. Les symptômes extérieurs n’annonçaient aucune maladie aiguë ou alarmante ; mais la lenteur du pouls, le manque d’appétit, une digestion laborieuse et un fond de tristesse constante, accusaient quelque cause secrète que le malade était déterminé à cacher.

Le médecin lui fit sentir la folie de se vouer à une mort lente plutôt que de confier le secret de l’affliction qui le conduisait au tombeau.

Pressé par les arguments du médecin, le malade lui fit les aveux suivants :

« — Ma situation n’est pas nouvelle, lui dit-il, on en trouve un semblable exemple dans le célèbre roman de Lesage. Vous vous souvenez sans doute de quelle maladie mourut le duc Olivarès ? — De l’idée qu’il était poursuivi par une apparition, à l’existence de laquelle il ne croyait pas ; et sa mort arriva parce que la présence de cette vision l’emporta sur ses forces et lui brisa le cœur. — Eh bien ! mon cher docteur, je suis dans le même cas ; et la vision qui me persécute et me pénètre est si affreuse, que ma raison est totalement hors d’état de combattre les effets de mon imagination en délire, et je sens que je meurs victime d’une maladie imaginaire. »

Le médecin lui demanda des détails plus circonstanciés sur la nature de l’apparition qui le persécutait. Le malade répondit que cette attaque avait été graduelle, et il exposa en ces termes les progrès de ses souffrances :

« — Mes visions, dit-il, commencèrent il y a deux ou trois ans. Je me trouvai