Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 1.djvu/174

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presque toutes les parties du monde civilisé et même chrétien. Selon la tradition polonaise, par exemple, les âmes des damnés rôdent pendant la nuit autour de leurs tombeaux, hurlent comme des chiens ou des loups, et tâchent d’égarer les passants dans de mauvais chemins. Des génies ou esprits femelles, appelés Boguienckas, volent l’enfant nouveau-né, et le remplacent par une progéniture du diable. L’air est peuplé d’esprits condamnés à une pénitence éternelle. Le pécheur est enterré avec son âme ; pour se soulager de ses tourments, cette âme, la nuit venue, sort de son tombeau et s’en va aux alentours effrayer les vivants. Les suicidés se promènent avec l’instrument qui leur a servi pour s’arracher la vie ; les décapités portent leur tête sous le bras ; les pendus traînent leur corde. Les magiciens des campagnes se faisaient comme un jeu de répandre ces erreurs-là et bien d’autres, malgré l’Église qui enseignait que les fantômes de ce genre, lorsqu’ils étaient aperçus vraiment, étaient uniquement des démons, cherchant à terroriser les gens, et qu’il suffisait d’invoquer Dieu et la Vierge à haute voix pour les faire fuir.

Dans les nombreux procès intentés aux sorciers jusqu’au dix-septième siècle, on pourrait relever une foule de pratiques nécromantiques dont la constatation juridique contribua à les convaincre de commerce et de pacte diabolique. La nécromancie était du reste une des bases de la doctrine cabalistique, si en honneur auprès des magiciens de ce temps. Les rabbins soutenaient que l’habitude attire l’âme des morts aux lieux où elle a demeuré durant sa vie terrestre ; certains cabalistes professaient que l’âme vitale et fluidique (nos spirites contemporains, on le voit, n’ont rien inventé) reste auprès du corps jusqu’à la putréfaction complète ; ce lien dure au moins un an après la mort ; c’est pendant cet intervalle qu’on peut le plus facilement évoquer l’âme du trépassé. C’est ainsi, disaient-ils, que les ossements d’Élisée opérèrent un an après la mort du prophète.

Mais si les magiciens du moyen âge pratiquaient la nécromancie et toutes les formes de l’art diabolique, ils ne pouvaient s’y livrer qu’avec des précautions infinies, en se cachant des lois qui poursuivaient justement les pratiques magiques comme un crime contre Dieu et la société humaine. Il en fut ainsi jusqu’au dix-huitième siècle, où, l’Église voyant diminuer son influence sociale par suite des progrès de l’erreur, un plus libre champ s’ouvrit aux manifestations de l’esprit du mal. Il ne fut plus forcé de se cacher dans les antres des nécromants, mais put étaler ses prestiges en pleine lumière, à la clarté du soleil et sous les lustres des salons. Il prit un costume fashionable de savant ou d’homme du monde ; il essaya d’amuser la société, et y réussit. Il se fit prédicateur de morale, mais d’une morale pleine de sensibilité et de charme, bien faite pour détacher les âmes faibles des principes élevés et austères du christianisme ; en somme, il prêcha sa vieille doctrine qui lui