Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 1.djvu/227

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cinq ou six Maitresses Templières, mais seulement de celles (dites Souveraines) qui avaient reçu la révélation d’Astarté dans le sanctuaire d’Eva.

Au nord, c’est-à-dire à gauche en entrant dans le temple, se trouve une colonne de granit, sur laquelle est posé un crâne humain ; c’est la prétendue relique de saint Jacques, le crâne que l’on dit être celui de Jacques Molay et qui a été apporté à Charleston par Isaac Long. C’est tout simplement un crâne quelconque, et j’affirme, en outre, m’étant livré aux études les plus approfondies sur l’anthropologie, que ce n’est point là le crâne d’un Français du quatorzième siècle. Ce n’est pas même un crâne d’Européen, et vraiment la supercherie est grossière, saute à l’œil de quiconque a eu pour maître Broca. Ainsi, l’angle sphénoïdal a 136°, et l’angle nasal, 68°. La capacité crânienne (il m’a été permis de la mesurer, lors de la visite de l’immeuble que je fis l’après-midi sous la conduite de Chambers) est de 1351 centimètres cubes or, il est reconnu aujourd’hui que la capacité des crânes de Français des treizième et quatorzième siècles varie dans les environs de 1425 à 1430 centimètres cubes, pour la moyenne ; quel écart !… Messieurs mes ex-frères de Charleston, montrez à qui vous voudrez votre tête de Jacques Molay ; je vous dis, moi, que c’est un crâne de Malais ou de Péruvien. Apportez votre relique à Paris ; faites-la examiner à la Société d’anthropologie, et vous verrez ce qu’on vous répondra !…

Mais pourquoi insister ?… L’intéressant pour nous est la manifestation même de l’objet macabre, Satan en ayant fait son instrument, comme il se serait servi tout aussi bien d’un crâne de singe.

Un fauteuil était placé à peu de distance de la colonne de granit. Le docteur Gallatin s’y assit. On s’en souvient, j’ai dit que les occultistes de Charleston prétendent qu’il avait en lui l’âme du grand-maitre des Templiers.

L’heure du phénomène annuel était venue : le vieux Mackey sembla s’abandonner de lui-même à une mort bizarre, qui le saisissait, l’étreignait graduellement, lente et douce. La tête rejetée en arrière, il eut l’air d’expirer, sans râle. C’était une sorte de léthargie, mais une léthargie d’une espèce toute particulière, telle que je n’en ai jamais constaté de semblable.

Puis, le crâne de la colonne de granit s’éclaira tout à coup. On venait d’éteindre les lumières de la salle. Le crâne maintenant était un foyer de clarté. Mais ce n’était pas cette lueur maigriote du crâne de la Chambre du Milieu, au jour d’initiation, lueur produite par une bougie ou une petite lampe, transformant en fanal lugubre la tête décharnée volée à quelque cadavre d’un amphithéâtre ; c’était une lumière vive, éclatante.

Bientôt, des cavités du nez et des yeux, des flammes jaillirent, puissantes, en épais filets ; le feu sifflait, hurlait, comme si le crâne eût été l’ouverture extrême d’une cheminée de hauts-fourneaux, ou, mieux encore, le cratère minuscule d’un volcan.