Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 1.djvu/248

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badauds qui en furent témoins ; je crois, au contraire, que M. le colonel de Rochas est un expérimentateur sérieux, mais je suis convaincu qu’il se méprend sur la cause des phénomènes dont il s’agit. Quel catholique, en effet, pourrait ne pas voir dans les faits de la nature de ce dernier une véritable intervention du diable, enchanté de jouer un tour de sa façon à ces imprudents chercheurs, et de leur fournir un semblant de preuve à leur théorie naturaliste du miracle ?

Parmi les envoûtements historiques sur lesquels les procédures auxquelles ils ont donné lieu ne laissent aucune incertitude, je citerai :

1° L’envoûtement pratiqué contre le roi Philippe VI, la reine et le duc de Normandie par Robert d’Artois, dans le but de se venger d’eux pour la part qu’il les accusait d’avoir prise dans les intrigues qui l’avaient dépouillé de son duché. Les détails que je vais rappeler sont extraits des débats du procès intenté de ce fait à Robert d’Artois, débats dont la copie originale est conservée aux Manuscrits de la Bibliothèque nationale.

« À quelques jours de là, c’est à-dire entre la Saint-Remy et la Toussaints de la même année 1333, frère Henry Sagebran (de l’ordre de la Trinité, son chapelain) fut mandé par Robert (alors à Namur) qui, après beaucoup de caresses, débuta par lui faire une fausse confidence, et lui dit que ses amis lui avaient envoyé de France un volt ou voust[1] que la reine avait fait contre lui. Frère Henry lui demanda que est-ce que voust ? — C’est une image de cire, répondit Robert, que l’on fait, pour baptiser, pour grever ceux que l’on veut grever. — L’on ne les appelle pas en ces pays voust, répliqua le moine l’on les appelle manies (synonyme de sorcellerie).

« Robert ne soutint pas longtemps cette imposture ; il avoua à frère Henry que ce qu’il venait de lui dire de la reine, n’était pas vrai, mais qu’il avait un secret important à lui communiquer, comme pour une confession. Alors Robert ouvrit un petit escrin, et en tira une image de cire enveloppée en un quevre-chief crespé, laquelle image était à la semblance d’une figure d’un jeune homme, et était bien de la longueur d’un pied et demi, et avait entour le chief (la tête) semblance de cheveux aussi comme un jeune homme. Le moine voulut y toucher : « N’y touchiez, frère Henry, lui dit Robert, il est tout fait, iceluy est tout baptisié, l’on le m’a envoyé de France, tout fait et tout baptisié ; il n’y faut riens à cestuy, et est fait contre Jehan de France et en son nom, et pour le grever. Ce vous dis-je bien en confession, mais je en vouldroye avoir un autre que je vouldroye que il fut baptisié. — Et pour qui est-ce ? dit frère Henry. — C’est contre une Deablesse, dit Robert, c’est contre la Royne, non pas Royne, c’est une Dya-

  1. Volt, voust, envoûter, d’invultuare, vullum effingere, mot usité dans la moyenne latinité pour exprimer la représentation de quelqu’un en cire ou en terre glaise.