Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 1.djvu/260

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« Du Vatican, où il s’était aussitôt rendu pour protester contre la mesure disciplinaire qui le frappait, l’abbé Boullan fut chassé. Les cardinaux bafouèrent ce prêtre qui osait lever le front et se révolter contre l’Église tout entière, pour le triomphe de ce qu’il croyait être la vérité.

« Alors, l’interdit rentra en France, plus convaincu encore qu’il ne l’était avant d’avoir encouru les fulminantes apostrophes de la curie romaine. Réfugié à Lyon, dans la famille d’un architecte de ses amis et de ses adeptes, il travailla et, dès lors, prêcha sans cesse la douceur et le relèvement du monde par l’amour.

« Bien des personnes qui le visitèrent depuis, et qui n’étaient ni folles ni menteuses, m’en ont fait un très édifiant portrait. D’aucunes lui attribuèrent de véritables miracles.

« Car à ses qualités spirituelles, à la puissance que lui donnait son caractère sacerdotal, était venu s’ajouter une puissance nouvelle : intéressé surtout par les sciences psychiques, l’abbé Boullan était devenu l’un des plus expérimentés magnétiseurs. Poursuivi pour avoir, par ses manœuvres, soulagé un assez grand nombre de serviteurs de sa cause, il fut même condamné à la prison pour exercice illégal de la médecine.

« On s’est arrêté, il y a quelque temps, dans la presse aux résultats obtenus par M. de Rochas, au cours de ses recherches sur l’envoûtement. S’il faut en croire certains, l’abbé Boullan allait bien plus loin que le savant occultiste. Il renvoyait le mal à l’envoûteur.

« La manière dont l’abbé s’y prenait a été révélée, on s’en souvient, par l’original et vigoureux écrivain d’À Rebours et de Là-bas.

« Si, craignant un envoûtement, vous consultiez l’apôtre, il commençait par endormir une voyante et lui faisait expliquer, dès qu’elle était prise du sommeil somnambulique, la nature du sortilège subi. Si le cas était grave, il recourait « au sacrifice de gloire de Melchissédec » qui se pratique ainsi :

« Sur un autel, composé d’une table, d’un tabernacle de bois, en forme de maisonnette, surmonté d’une croix cerclée sur le fronton par la figure du Tétragramme, l’officiant fait apporter le calice d’argent, les pains azymes et le vin. Puis, — ayant revêtu des habits sacerdotaux, une longue robe vermillon, serrée à la taille par une cordelière blanche et rouge, et un manteau blanc découpé sur la poitrine en forme de croix renversée, — il commence à lire les prières du sacrifice.

« Le consultant est placé près de l’autel. Continuant ses oraisons, le prêtre pose sa main gauche sur la tête de l’envoûté ; puis, étendant son autre main, il supplie l’archange saint Michel de l’assister et adjure les glorieuses légions des anges d’enchainer les esprits du mal. Enfin, vient le moment de la prière déprécatoire, et l’officiant la clame par trois fois après avoir posé sur l’autel la main du consultant. Le pain azyme et le vin sont ensuite offerts à ce dernier, et le sacrifice prend fin.

« On serait vraiment surpris en apprenant le nom du Parisien connu qui assure avoir été ainsi débarrassé presque instantanément par le « saint » de Lyon d’une affection grave, due, croyait-il, aux pratiques d’un de ses ennemis adhérant à la Rose-Croix.

« En entravant de toute la force de son pouvoir l’œuvre des Kabbalistes pratiquant la magie noire, Boullan s’était attiré toute leur haine. Il ne comptait