Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 1.djvu/307

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Bourbonnais. Sur sa manière bizarre de demander du pain, il répond avec beaucoup de sagacité : « c’est qu’on le lui donnait à regret, c’est pour le renouveler plus souvent, etc. » Interrogé pourquoi il ne demande pas pour l’amour de Dieu, il répond par des blasphèmes horribles et dit mille impiétés : « il va avec ceux de sa religion, il n’ira à la messe qu’après les vendanges, il n’a fait aucun mal à cette femme, etc. »

On lui fait des menaces, qu’on feint de vouloir exécuter, s’il ne la guérit. Alors il consent. On amène la femme Postard ; dès qu’il a pris ses mains dans les siennes, elle recouvre sa connaissance, parle et peut s’en retourner à pied ; mais une demi-heure après, elle était retombée dans le même état. On réitère les menaces ; il dit qu’il ne peut rien ; cependant, effrayé, craignant lui-même pour sa vie, il demande du vin blanc, le mêle avec de la suie et du vinaigre, lui en fait boire, et la voici de nouveau guérie.

Pendant que ceci se passait à Menetou, le mari de la première victime fit sa plainte, et le juge se transporta auprès de la femme Lefèvre, qui respirait encore. On constate tout ce qui s’est passé. Un témoin dépose que le pauvre a dit qu’il en devait faire autant à trois femmes le même jour. Le mendiant nie ; « il voyage, dit-il, parce qu’il à l’esprit malade ; mais il n’est pas sorcier, etc… »

Les présomptions étaient fortes ; cependant le juge ne les trouvait pas assez graves pour condamner, mais suffisantes pour ordonner la question.

Bref, le procureur fiscal en appela à la justice de Boisbelle : nouveaux interrogatoires ; on chercha les marques, qu’on eut peine à trouver sur le pauvre, tant il était noir. Il continua ses blasphèmes, et fut condamné à être brûlé le 5 août 1619.

Chenu ajoute que ce jugement peut paraître hardi : « mais les juges, dit-il, eurent la conscience tranquille » ; car ce mendiant, voyant qu’il était inutile de nier, avoua qu’il avait ensorcelé par le souffle et le regard ; qu’il avait appris cela en Savoie ; qu’il avait promis au diable de faire mourir plusieurs personnes pendant deux ans, etc.

Un jésuite, le R. P. Girard, essaya pendant trois heures de le convertir. Le mendiant le rendit comme aveugle en le regardant, et le bon père ne recouvra la vue qu’après de ferventes prières. Son zèle, enfin, fut couronné de succès ; ce misérable fit la confession sincère de ses péchés.

Et l’avocat Bizouard conclut sa narration par une remarque fort sensée et fort juste : « Si ce jugement, dit-il, a paru hardi à Chenu, et on a vu les mêmes scrupules chez Boguet pour d’autres jugements, combien les condamnations où ces deux magistrats ne doutaient pas du crime sont loin de leur mériter les injures que l’incrédulité ignorants a vomies pendant plus de deux siècles contre les juges de leur temps ! »

Il fallait, en effet, que le fait du maléfice diabolique fût bien positivement