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Deraismes, avant comme après sa réception annulée, était et resta maçonne de cœur.

Il suffit, pour s’en convaincre, de lire le journal la République Maçonnique (n° du 22 janvier 182), qui a rendu compte de cette initiation exceptionnelle d’une femme dans une loge d’hommes.

« L’éminente conférencière, rapporte le rédacteur, a reçu la lumière samedi 14 janvier et est devenue notre frère, ou plutôt notre demi-frère, étant donnée la situation particulière que s’est faite la loge qui l’a reçue.

« Le Vénérable et l’Orateur de la loge les Libres-Penseurs du Pecq ont prononcé des allocutions fort bien dites et très applaudies.

« Mlle Maria Deraismes, quoique très souffrante, s’est surpassée. Elle a fait un discours ravissant, émaillé de saillies, plein de brio et d’entrain.

« Elle nous a développé que le catholicisme, entré par la femme dans la société, ne s’y maintient plus que par la femme ; que, si nous voulons le combattre à armes égales, il faut introduire la femme parmi nous ; que la Maçonnerie a été jusqu’à ce jour maladroite de se priver bénévolement d’un tel auxiliaire. Elle a ajouté qu’elle félicitait la loge des Libres-Penseurs d’avoir eu le courage de rompre avec une tradition stupide pour donner un exemple fertile ; qu’elle était heureuse et fière d’avoir été choisie, elle, pour être le premier pionnier féminin appelé à défricher chez nous un préjugé injuste et ridicule ; qu’elle espérait, dans un avenir prochain, voir la femme appelée par nous venir s’asseoir à nos côtés dans nos ateliers, et prendre, dans la grande famille maçonnique, la place qui lui appartient. »

Ce discours fut celui d’une anticléricale, — Mlle Deraismes vice-présida un congrès anticlérical pour la séparation de l’Église et de l’État ; — mais c’était aussi le discours d’une personne ignorant absolument l’existence de la maçonnerie féminine. Ce qu’elle souhaitait, c’était la création de loges androgynes politiques. Il peut se faire que son vœu soit réalisé quelque jour, que la maçonnerie institue des loges-clubs, où des sœurs tricoteuses péroreront avec des frères jacobins. Cette maçonnerie-là n’empêchera pas l’autre, qui demeurera rigoureusement secrète.

Au surplus, Mlle Maria Deraismes était-elle bien la seule maçonne politique, comme elle le croyait ? N’avait-elle jamais entendu dire que Mme Edmond Adam avait été initiée à la loge la Clémente Amitié ?… Et ne lui arriva-t-il pas de se douter encore que Mlle Augusta Holmès était, elle aussi, une maçonne politique ?

Je ne saurais dire à quelle loge appartient Mlle Holmès, la célèbre compositrice de musique ; mais, quand on connaît le symbolisme maçonnique, on ne peut s’empêcher, en lisant les paroles de l’Ode triomphale pour le Centenaire de 1789, de déclarer que l’auteur est vraiment une initiée ; car Mlle Augusta Holmès est l’auteur du poème aussi bien que de la musique.