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cri, et, dans mon premier mouvement, regardant tout autour de moi, je vis la lampe éteinte, et à travers les ténèbres de ces redoutables ombres, j’aperçus le démon se tenant debout auprès du mort. Une si affreuse vision m’eût réduit au désespoir, si mon maître, qui veillait très souvent pour me secourir dans mes terreurs, n’eût pris soin de calmer peu à peu le trouble et l’agitation qui m’avaient mis hors de moi. »

« Le démon, raconte-t-il plus loin, me présentait très fréquemment en songe les images des trépassés, et principalement de ceux que j’avais appris avoir péri en des lieux divers, soit par le glaive, soit par toute autre mort violente. Il effrayait mon esprit engourdi dans le sommeil par de telles apparitions, que, durant la nuit, si mon maître n’était pas auprès de moi pour me donner du courage, il ne m’était possible ni de me tenir au lit, ni de m’empêcher de crier. Je pouvais à peine être maître de ma raison. »

Une fois établi qu’il faut distinguer deux sortes de songes, les divins et les diaboliques, la question suivante se présente nécessairement : « À quel signe reconnaîtra-t-on les songes diaboliques des songes divins ? »

L’accord existe entre les théologiens, sur les points que voici :

1° Les songes dont le diable est l’auteur ont généralement un objet condamnable et funeste, quelquefois même sous l’apparence de l’honnêteté et du bien ; et dans ce cas il faut soigneusement examiner si ce bien ne renferme pas le principe de quelque chose d’indécent, de ridicule, d’inutile, ou pouvant dégénérer en mal. Les songes voluptueux où érotiques rentrent dans cette catégorie ; plus d’une fois ces songes ont été considérés comme des agressions impures des démons incubes.

2° On peut attribuer au diable les songes offrant des représentations horribles, des objets monstrueux, impossibles ; ceux qui révèlent certains secrets dont la découverte ne peut contenter qu’une vaine curiosité ; ceux où règnent la confusion et le mensonge ; ceux enfin qui ne se vérifient pas par l’événement.

Du reste, les songes d’origine vraiment divine sont assez rares et ne sont envoyés du ciel que dans des occasions solennelles. Il faut pour les discerner une lumière spéciale, qui n’est accordée qu’à un très petit nombre d’hommes.

Pendant toute la durée du moyen-âge, l’onéirocritie fut en grand honneur, malgré les lois civiles et religieuses qui en flétrissaient et en punissaient les nombreux abus. Les Capitulaires des Rois de France contiennent des dispositions fort sévères à l’égard des interprètes de songes, qui plus d’une fois subirent de rigoureuses et justes condamnations. Nous voyons la croyance aux songes persister en France pendant les xvie et xviie siècles.

Il ne serait pas juste de dire que le xixe siècle a vu disparaître l’onéirocritie. Elle vit encore dans la multitude de ces esprits superstitieux qui croient, avec une opiniâtreté imbécile, aux révélations du sommeil et qui